dimanche 30 août 2015

Nuit noire

Le ciel descendait, il était beau, il était bleu, il était sur le point de mourir. Sursis dans sa lumière qu’il affichait le long des silos, l’orangé teintait le gris habituel de ces gratte-ciel version campagne. Un nuage d’oiseaux, noirs et blancs s’adonnait à la danse nocturne de ceux pour qui le jour se termine. Décan d’une journée bien remplie. L’automne sonnait déjà à la porte de ce mois d’août, il sonnait trop tôt, il sonnait trop tard. Il était et nul n’en avait le contrôle, il était et c’est ainsi qu’il est.

Le souffle du vent aussi s’habillait de cette saison, il s’abaissait de quelques degrés obligeant l’homme qui observe ce spectacle de se vêtir d’un par-dessus de laine grise et blanche. Seconde peau qui depuis longtemps s’usait à cette tâche annuelle. Couvrir les frêles épaules de celui qui observe le temps qui coule si vite. Trop vite, pensa-t-il pour lui-même. 

La rosée, en fines particules d’eau, recouvrait à présent, sous le couchant du soleil qui serait bientôt le point d’horizon, les champs d’herbes fraîchement coupées. Demain, il fera beau, se dit-il sans conviction. Il se frotta les mains pour les réchauffer, car il ne peut, ni ne veux entrer. Profiter encore un peu de cette soirée, de cet air, de cette vision, de ce qui est et fut sa vie. Une routine imposée par le temps qui passe. Métronome en guillemets sur un continuum d’obligations. La vie de fermier était une vocation que seuls ceux qui y œuvrent peuvent comprendre. Eux seuls. Et la nature bien sûr! 

Le soleil se couchait et lui il savait que demain serait encore un jour comme le précédent. Un travail de tous les jours qui s’ornent du couvre-chef de l’autarcie voie de l’autonome au prix de durs labeurs. 

Le chant orchestré des grillons combla le vide laissé par celui des oiseaux. Il aimait ce moment, il aimait ce son, malgré le monocorde qu’il était, il l’aimait et c’est ainsi. Une voiture passa devant sa ferme et lui, continuait de se bercer par de lents mouvements, lents, mais continus, lents, mais réguliers. En parfaite harmonie avec ce qui vibrait en lui. Le calme, la paix et la joie d’être vivant et voyant. Voyant, car, lui, il voit la vie et le temps qui passe. Voyant, car, lui, il sentait la vie dans ses veines, dans son corps, dans son cœur. 

Une seconde voiture était en voie de passer devant chez lui, chez cet homme qui vivait et qui souriait. Les phares allumés pour voir dans cette noirceur grandissant, la voiture roulait à vive allure, trop vite à son goût, comme toujours d’ailleurs. Il n’aimait pas ces gens qui passaient vite, il ne comprenait pas que l’on puisse mordre à l’appât de cette ironie du sort, soit de vivre rapidement pour que tout aille plus vite, sans que l’on puisse le voir, le toucher, le vivre. Il les haïssait et les plaignait à la fois. 

Les phares se firent plus gros, parce que plus près de chez lui. Plus près de chez l’homme, qui est et qui vit? L’homme vivant qui plaint celui qui conduit si vite. Il les plaint, car il savait que les occupants de cette voiture n’ont pas la chance de vivre comme lui, comme le temps lui permet, comme le temps qui s’écoule au rythme des saisons. 

C’était samedi et pour lui demain n’était que dimanche. C’était samedi et c’était bien ainsi. C’était samedi et la nuit dormirait avec lui. 

La voiture passa et rien de ce que l’homme pensait n’effleura l’esprit du conducteur et de ces occupants. La voiture passa et déjà elle n’était plus. Elle était déjà passée, à demi oubliée... comme le reste. 

Le ciel était noir à présent et l’air s’était chargé de ce parfum si cher à cet homme. Le ciel était noir et la nuit serait belle, car il irait dormir sous peu. 

Des pas sur le seuil de porte en annonçaient d’ailleurs l’heure de s’y mettre. Sa femme, bienveillante, le rejoignit et s’installa à ses côtés. Le silence qui habitait ce moment était plus fort en mots que tout autre dialogue. Ce silence qui parlait plus fort, plus vrai que tout autre mot était leur moment à eux. Amoureux, il la regardait de sa douceur habituelle. Elle aussi avait revêtu son châle du moment. Noir et brodé par ses mains habiles et minutieuses. Un léger nuage de vapeur s’échappa de leur bouche indiquant l’air du temps. 

Encore quelques instants lui dit-il. Elle acquiesça sans sourciller, elle aussi aimait ce moment de tranquillité. Ce moment que seuls les amoureux connaissent. Ils s’aimaient depuis tant d’années que les chiffres étaient inutiles. Leur bonheur à eux était simple et complet. Vivre et vivre simplement.

La lune pointait son blanc immaculé sur le tapis noir orné d’étoiles. Elle brillait et teintait d’un halo blanc clair le couple sexagénaire de sa bienveillance. Le vent s’était endormi et les grillons chantaient maintenant avec le croassement des grenouilles de l’étang. La vie s’écoulait en un ballet précis soit à son propre rythme. D’un commun accord, les deux êtres se levèrent de concert pour entrer et se préparer pour la nuit et le sommeil. 

Deux points blancs pointèrent le ruban sinueux sur le noir du pavé asphalté. Le vieux fermier regarda cette vision en pestant contre la vitesse. Le son qu’émanait de cette voiture couvrait tout le reste. Pourquoi diable le monde veut-il à ce point détruire l’ambiant? Reprenant leur progression, il ouvrit la porte et la garda ouverte pour que sa douce puisse entrer. Comme à chaque soir où ils sont les deux ensembles à sourire à la nuit. Cependant, ce soir, la voiture qui ruminait dans la nuit venait de brusquer l’harmonie qu’ils aimaient tant. Un dernier regard à cette vitesse et l’homme entra sans mot dire autre qu’un non de la tête.

La voiture passa son chemin et la nuit aussi. Pourtant, une âme ne verrait pas le jour. Celle qui mourut encastrée dans la Mustang 2011 noire. L’âme de l’homme qui avait voulu vivre que trop vite... mourut tout aussi rapidement qu’il avait cru vivre, soit jamais. 

Au réveil du couple de la vie, les nouvelles hurlaient de ce drame en jetant le blâme sur la route et ses dangers... Au fond de lui-même, il savait... il savait que l’on se cherche toujours des excuses pour renoncer à nos droits, à nos obligations, à notre vie... Puis, dans un rictus incontrôlé par l’homme écoutant les nouvelles, une perle noire glissa le long de sa joue, noir de son chagrin de voir que tout se perd, même le temps...







mercredi 26 août 2015

Ce pourquoi je suis poète...

Dans le déclin d’un mois de mai pleurant sa mère Nature de devoir passer outre, vagabonds nuages ornaient en surface la voute céleste d’un juin en devenir. L’air s’allégeant de son excès d’humidité ouvrait la porte à un juin sauveur de sa chaleur bienvenue. Les hirondelles ayant fait leur travail de messager se perdaient dans la multitude des chants qu’offraient ces êtres volages.

Les bourgeons en éclat de se donner en spectacle, offraient d’un tendre vert la beauté juvénile de ses feuilles encore naissantes. Magnolia, en monde à l’envers, nous offrait ses parfums délicats de ses branches frêles vierges de ses ornements foliaires. Ce spectacle était, pour le plus grand bonheur des passants nouvellement excavés de leurs antres hivernants, le salue d’une vie nouvelle.

Le blanc des marcheurs en quête de dorure, immaculé encore, se gorgeait des rayons salvateurs de l’astre bienfaisant. Plaisir des hommes de voir la taille des habits se réduire pour offrir de jolies jambes en spectacle talonné. On pouvait même entendre, du haut de leur porche bétonné, les mères implorant leurs enfants de se couvrir la tête et de s’enduire de crème solaire, tandis que ces derniers feignaient si bien la surdité sélective.

C’est exactement à ce moment précis que la petite Lucille, en balade avec sa maman, fut attirée par une étrange vision. Un homme, en plein dialogue, était adossé à un arbre du parc. Ce dernier, de jean vêtu et d’une chemise amputée de ses manches, pointait le ciel en parlant d’une voix chantante. Ce personnage intriguait bien la petite et mit un point d’arrêt à cette marche mère-fille. Sa mère en profita pour réajuster son chapeau et se dirigea vers un banc de parc peint en rouge. La petite vint la rejoindre et tendait l’oreille pour bien entendre les dires de cet homme farfelu. Voici ce qu’elle entendit alors.

     Vois-tu, mon cher, je ne suis guère fainéant, bien au contraire. Je converse avec les nuages et en retour il me dicte les réponses à mes questions.
     Impossible dis-tu? Bien au contraire, c’est d’une logique incroyable! Fais-en le test et tu comprendras!
     Quoi, tu n’oses le faire, alors laisse-moi te montrer!
     Que pourrais-je bien manger pour le goûter?

Sitôt, le coton volant prit la forme d’une pomme bien ronde.

     Tu vois! C’est simple comme tout! Il ne faut qu’essayer et surtout oser!
Lucille, étincelante d’émerveillement ne put s’empêcher d’écouter la suite. En son cœur de fillette de sept ans, elle se demandait pourquoi personne ne lui avait dit que l’on pouvait consulter le ciel ainsi!

     Et le vent, tu l’écoutes aussi j’espère, car lui aussi nous offre son savoir sans même qu’on lui demande!
     Incrédule tu es mon cher, je te le prouverai à l’instant! Vent, dis-moi où trouverais-je cette pomme?

Une feuille, volant sous la volonté d’Éole se mit alors à tournoyer en tous sens avant de prendre finalement direction d’un marchand ambulant qui établissant son kiosque justement.

     Tu crois que je le savais qu’il viendrait s’y installer? De mauvaise foi tu es mon cher ami! Et la feuille, tu penses que c’est moi qui lui ai dicté le chemin?

Du haut de ses sept ans, la petite Lucille tombait d’émoi devant tant de savoir et ne put se retenir et demanda à sa mère si cet homme était magicien!

     Mais non, simplement un va nu-pied qui s’attire la charité à qui écoute à ses mensonges. Ne porte pas attention à lui.
     Mais tu as vu, les nuages et le vent lui parlent! Je l’ai entendu et surtout j’ai vu le résultat!
     Le hasard, rien d’autre que le hasard ou pire, la chance!

L’homme-nature, comme la petite le surnommait à présent, reprit son dialogue.
     Baliverne, je suis bien comme je suis, malgré le fait que mes poches soient vides de sous! Bohème tu m’appelles, peut-être, mais libre!
     Tu crois que l’argent me donnerait le bonheur… L’argent au contraire m’a tout volé…
Une larme perlait délicatement sur la joue de l’homme, et les émotions se lisaient sur le front torturé du pauvre homme. On pouvait aisément, à la lecture de son visage, s’imaginer les malheurs traversés par cette âme si fraîche du mois de juin.

Lucille ne put retenir une larme en retour.

     M’emmurer dans mon monde, tu me dis que je m’isole et me crée un monde à moi seul? Pauvre toi…
Un silence interrompit cet instant de divagation singulière. Un nuage passait et un oiseau chantait pour rompre ce vide lourd en émotion.
     Pauvre moi devrais-je dire? Non, mais, en fait… tu as peut-être raison! Ce monde qui est mien, je l’ai créé de toute pièce et alors… Et alors…
Un lot de larmes déferlait à présent sur ce visage inondé par la tristesse d’une vérité, il était midi et le clocher se mit à chanter.

      Tu as que trop raison… Mais, qu’est ce monde si triste, si noir et si faux? Tout est mal et mauvais autour de nous, la corruption de nos âmes fait de nous des loques revêches. Alors… oui, je m’invente un monde dans lequel j’ai choisi d’être heureux. Un monde où les arbres et l’eau sont mes amis et qu’ils me chuchotent une douce poésie réconfortant mon être isolé. Oui mon ami, j’ai choisi d’être poète et de vivre avec sa beauté et s’il en est qui me trouve déplorable, alors qu’ils s’en retournent à leur vérité. Pour ma part, je n’ai jamais été aussi heureux que depuis que j’ai choisi la beauté comme amie et les mots et l’évidence du monde qui m’entoure me parle en retour.

La mère de la petite, saoulée par tant de balivernes, se leva d’un trait et tira la main de Lucille afin de s’éloigner rapidement de cet homme qui parlait seul depuis maintenant un quart d’heure.

Lucille, quant à elle, portait à présent la semence d’une douce mélodie en écoutant le vent dans les feuilles et ne put réprimer du regard cet homme différent, poète et pourtant, heureux d’être… Leçon en elle de voir que la différence n’est qu’une question de point de vue, tant que notre regard porte sur ce qui nous fait du bien, nul ne peut s’y interposer…


jeudi 6 août 2015

Berceau






Lueurs en fines lignes de bonheur
Perforent  des entrailles arides
Douleurs d’un passé argileux
Qui s’effrite, qui s’adoucit


Une Source coup de cœur
Valse d’une vitalité nouvelle
Attise des instants d’alizés
Berceau d’une guérison