Le temps tourne sur lui-même tout comme la roue exécute son
unique fonction. La ruelle pleure de n’être que son arrière-cour et le soleil
du haut de son indifférence s’en fout brillamment. Un sourire luit dans le
visage de son carnassier qui agite ses blancs de mémoire pour qu’on lui tienne
la main, mais déjà le temps a fait de lui un oublié. Le rythme est tel qu’on ne
peut le défier sinon que par des accrocs dans sa toile immaculée et définie de
par sa perfection. Les nuages, inconsistant, mais bien visible dans le bleu de
son océan défilent vers la bonne direction, celle de leur destiné et seuls les
rêveurs leur attribuent une signification quelconque.
Moi, simple dans la simplicité que s’y accorde, je tire mon
épingle du jeu dans l’espoir d’un demain à portée de main. Qui sait ce que l’on
peut cueillir du haut de ses croyances idéalisées, sinon que l’espoir de croire
encore
un peu… L’idéalisme a pour lui de voir dans la réalité une fêlure avec
ce qui devrait être. Tandis que le réaliste ne croit que ce qu’il voit et peut
concevoir, quitte à le palper par plaisir de crédibilité, mais jamais déçu il
est.
Les rues abondent d’odeurs qui ne veulent pas être
identifiées. Simplement voler en effluve du passé. Les passants, en marcheurs
d’occasions, sifflent en cadence leur pas pour que jamais ne sonnent les
cloches du retard, donc pressés par une chaleur qui démange l’ambition. Moi,
perdu au milieu de se quelque part en le désir et la réalité, je fonce et
défonce ma condition, sans que ne crie le hélas d’un abandon résigné.
Dans un détour de mon élan sans frein, je détourne mon champ
d’intérêt vers un adage populaire dans les landes de la philosophie
contemplatrice. Elle sied sur une affiche publicitaire. Entre deux néons qui
pointent en sa direction jouant du stroboscope pour contrer l’anonymat dans la
masse. La contrainte d’être populaire repose sur le constat que l’on perd de
son essence au prix du plus offrant. Par pur hasard, elle épouse la cause d’un
détergent à lessive. Comme elle est propre à son essence, elle porte en elle
peu de mots parce que pourquoi elle en contiendrait davantage. D’instinct, je
serais porté à lui répondre d’un simple pourquoi pas. Sous le contenant jaune
citron, ce carpe diem scintille de
son éloquence. Carpe Diem, qui est-ce
qui le fait de nos jours? Je ne crois pas que l’essence de cette maxime soit
cueillie pour ce qu’elle exprimait dans son jadis et que le contexte actuel y
soit propice. Il est plus aisé de cueillir le moment présent quand l’espérance
de vie est courte. Jeunesse d’insouciance dans ce qui les meut en ces temps de
n’importe quoi. Réflexions faites, je ne crois pas en la justesse de cette
philosophie qui endort quiconque y prend goût.
Je sais d’avance que les foudres seront attirées et
orientées vers ma personne d’affirmer que ce genre de philosophie détruit et
asservi la volonté de l’individu. Un oiseau passe se perche et s’en balance. Une
voiture me croise la route et poursuit sa course dans la ligne droite de sa
pensée, m’indiquant que je devais poursuivre moi aussi.
Je me souviens d’un livre sur le présentisme qui décriait la
situation de ces êtres du moment présent. Mais comment peut-on réellement s’y
poser, moi qui m’y oppose. La vaillance est mère de l’avenir, car elle défie la
fainéantise de l’avilissement. L’heure tic-tac ma course et mon retard ne fait
que s’accroître. Sans m’y perdre en temps et en nombre, je perpétue ma
direction vers l’opposé de cette affiche qui me carpe diem trop.
La ville s’est construite dans la bonne volonté de ceux ont
pris du temps pour elle. Chaque segment, chaque coin de rue, chaque monceau ne pourraient
exister sans l’once d’un engagement. Ces gens ont sacrifié une partie de leur
énergie pour l’avancement de leur communauté et non pour pêcher cette carpe
diem.
Au loin, le garde-manger en champs labourés, cette lande en
verte terre. Toute sa beauté m’émeut. La voiture rouge aux roues
surdimensionnées laboure sans rompre son rythme la nature de sa fonction.
Quelques goélands tournoient autour de la cabine de celui qui œuvre sans
compter les heures écoulées. Pour lui, cet homme dévoué, le temps n’existe que
pour ce qu’il a à accomplir et non en fonction de sa personne. L’égocentrisme
est rarement mère de la communauté, bien au contraire. Et si je ne faisais que
cueillir, je mourrais de faim dans les semaines à venir. Apprendre à se nourrir
et cultiver ce qui nous revient, voilà ce qu’est la satiété… Et moi, pourtant,
j’ai toujours faim…