Ouvrir les yeux.
Première étape de ce retour à la conscience, de ce viol mental.
Je m’y refuse tout d’abord. Je veux retourner à mes rêves, là où rien de mal ne peut m’arriver. Mais si par mégarde la souffrance fond sur moi, ce sera celle que j’ai choisi, expiatrice de mes pêchés, ou gardienne de ma volonté, peu m’importe.
J’ai perdu mon courage dans ma quête d’identité, et n’ai nul désir d’arpenter à nouveau ce chemin ardu pour le retrouver. Je voudrais m’en laver les mains, mais seul du sang pourrait effacer les tâches de ma conscience.
Ouvrir les yeux.
Oui, mais sur quoi ? Un spectacle que je ne connais que trop bien, rythmé par un rituel sans cesse accompli, ou quand la monotonie se fait maître étalon d’une vie qui n’en finit plus de se dérouler. Revenir dans un univers où l’espoir est devenu une marchandise monnayable, ou l’avenir n’est qu’un sombre horizon.
Des brides de rêves s’accrochent à moi comme des voiles diaphanes, me retenant dans ces songes dans lesquels je vais de plus en plus loin. Un jour, j’irai trop loin, trop profond et rien ne pourra m’en sortir. Rien… mais pas aujourd’hui.
Aujourd’hui j’ai ouvert les yeux une fois de plus dans cet étrange mélange de déception et d’exaltation, qui peu à peu cède la place au vide. Vide qui emplit l’espace de mes pensées aussi sûrement et aussi bien que de l’eau dans un verre.
Pourtant c’est différent cette fois. Comme si, pour la première fois depuis longtemps, j’étais revenu entier, complet. Comme si mon âme avait fait le trajet retour. Un titre me vient à l’esprit, ce genre de phrase toute faite, tellement éculée qu'elle ne veut plus rien dire.Mais maintenant, elle prend tout son sens.
Le dernier jour du reste de ma vie.
Je suis debout. Opération qui d’ordinaire me prend plusieurs douloureuses minutes et qui cette fois s’est déroulée presque sans ma coopération volontaire. Même l’air est différent, sans relent ni odeur.
Dans ma tête reste gravées les dernières images que j’ai vécues dans mon monde onirique. L’instant fatidique où ma lame s’enfonçait dans le cœur de mon pire ennemi. Son visage, figé dans une expression presque comique d’incrédulité est une copie du mien, mais en plus âgée. Le sang qui s’écoule de sa plaie est noir comme la nuit, et je n’arrive pas à entendre ses dernières paroles. Ses lèvres bougent et articulent des mots, j’en suis sûr. Mais quelle importance, puisqu’il meurt.
En un éclair je reviens dans mon monde, ma misère. Les idées noires affluent au rythme des images de la déchéance d’une civilisation qui a définitivement fermé les yeux sur son échec. Mais je ne les laisse pas m’envahir. Plus Maintenant.
Plus jamais.
En surimpression de tout ce que je vois, il y a un filigrane, une bouche exsangue, des paroles, l’image mais pas le son. Le monstre me hante encore, dans une habile et cruelle torture, celle de ne pas comprendre ce qu’il me dit. Les heures passent, et l’importance de savoir, la vitalité de connaître se font plus impérieuses. Mais dans ce rêve, il y a quelque chose d’inéluctable, une croix sur un plan indiquant le passage du point de non-retour.
Il n’y a plus que moi.
Les nuits s’enchaînent, se suivent et se ressemblent. J’essaye de m’approcher, d’entendre son râle. J’écoute. Mais je ne perçois que tout juste un murmure, un écho lointain et faiblard porté par le vent. Le spectre d’une vérité essentielle mais oubliée, enterrée sous les sédiments d’une histoire désireuse de renouveau.
Dans mon monde la situation se détériore. De crise en crise, de génocide en génocide, de mort en mort. Et plus elle s’aggrave, plus je m’affirme, deviens sûr et précis. Des projets fleurissent, inavouables, inavoués. Ma tête en est pleine.
Les nuits continuent de s’entasser, et les paroles de m’échapper. Les journées, je cours après ces mots mystérieux, cherche à les débusquer de mon moi récalcitrant.
Puis enfin vient la guerre. Celle que j’attendais sans le savoir jusqu’à ce qu’elle arrive. Dans le chaos des champs de bataille, dans les cris et la souffrance, dans la mort et le désespoir, je m’épanouis, je survis, combats et rassemble.
Les explosions autour de moi, les obus qui tombent, l’air qui pue la terreur, tout ça me rapproche de ma vérité. Me rapproche des paroles de ma Némésis, assassinée une nuit, il y a bien longtemps. Elles sont là, dans le chaos et la fureur, je peux presque les entendre. Les toucher du doigt, comme le doigt de dieu.
Derrière moi, se dresse une armée. Chacun des hommes qui la composent pourrait être à ma place. Ils voient en moi le meneur. Ils voient en moi la survie. Ils voient en moi l’espoir.
Je ne suis rien de tout cela.
Je ne suis qu’un homme.
Un homme qui voudrait se souvenir de ce que son père lui a dit alors qu’il était enfant et que la nuit le terrifiait.
Waouh ! Waouh ! Waouh !
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