Simone est prisonnière. Captive
d’un corps imparfait aux yeux de plusieurs, mais pas à ceux de Julien…
Tous les jours, elle sort prendre
l’air. Elle aide d’abord son voisin italien à décortiquer son courrier faute de
ne plus avoir sa tendre Gabriella pour lui lire le français. Puis, elle fait
ses emplettes quotidiennes en laissant au passage un bonjour à sa petite-fille,
caissière au supermarché. Elle termine sa tournée par le Resto du coin. C’est là que Simone rêvasse à sa prochaine visite à
celui dont l'œuvre fait d’elle une plus belle femme.
Où qu’elle soit, Simone remarque
son embonpoint dans le regard des autres. Elle sait qu’elle trimballe le poids
de son âge, de ses grossesses, de ses abus, mais aussi de sa solitude. Ses
épaules portent le monde. Mais quand elle rentre à la maison et entend la voix
de Julien sur son répondeur, plus rien ne lui pèse.
Comme ces rencontres qui changent
le cours d’une existence, Julien s'insinua dans la vie de Simone par une petite
porte. Ils se croisèrent au Resto du coin
un banal mardi. Le peintre avait négligemment repoussé son dessert à peine
entamé et fixait le plafond. Simone entra, remarqua la beauté presque surréelle
de ce jeune homme, et se figea lorsque son regard descendit sur elle.
Il l’a laissa commander son
repas, puis se leva. Simone se sentit violemment rougir lorsqu’elle comprit
qu’il se dirigeait vers elle. Il l’aborda un peu brusquement et lui demanda si
elle voulait être son modèle. Les habitués du resto la fixèrent sans gêne,
certains se permirent même de ricaner. Julien, impatient, sortit un stylo de
son veston et griffonna son numéro de téléphone sur le napperon blanc.
Simone mangea en silence sans
regarder personne. Lorsque la serveuse vint remplacer son bol de soupe trop vite
avalé par une assiette de spaghetti, elle remarqua le cerne graisseux qui rendait
maintenant les chiffres du numéro indéfinissables. Simone rentra chez elle le
cœur lourd, rempli des plaisanteries des clients du restaurant, serrant très
fort au fond de sa poche le napperon souillé.
Elle revit Julien trois jours
plus tard dans le métro. Il l’aborda de manière tout aussi abrupte et lui réitéra
sa demande. Elle bafouilla qu’elle n’avait plus son numéro, mais à sa propre
stupéfaction, avant même qu’il eût sorti son stylo, elle répondit qu’elle
acceptait. Il s'empressa de lui noter l’adresse de son atelier en lui précisant
qu’il l’attendait le mardi suivant dès onze heures.
Le matin de son rendez-vous,
Simone porta une attention particulière à sa toilette en choisissant sa plus
belle robe, puis appela un taxi. Il n’était pas question qu’elle transpire dans
le métro. Son chauffeur la déposa devant une vieille usine. Pendant qu’elle se
demandait si le conducteur ne s’était pas trompé de rue, une porte s’ouvrit à
la volée, découvrant un Julien tout sourire.
— Bonjour. J’ai
eu peur que vous changiez d’idée.
— Non, non…
— Comment vous appelez-vous?
— Simone.
— D’accord. Moi, c’est Julien.
Le jeune peintre tourna les
talons et gravit rapidement un étroit escalier en abandonnant Simone derrière
lui. Lorsqu’elle eut terminé son ascension, elle était en nage et se maudissait
de son poids. Elle passa la porte et découvrit un très grand atelier, fort bien
rangé. D'immenses fenêtres laissaient entrer pleinement la lumière. Au centre
de la pièce, Simone vit une toile sur un chevalet ainsi qu'une petite table sur
laquelle attendaient du papier et des crayons. Pas très loin, il y avait aussi
une chaise et un drap blanc.
Affairé à préparer son matériel,
Julien l’informa qu’elle pouvait se déshabiller derrière le paravent. Simone se
figea net. L’artiste releva la tête et remarqua le regard paniqué de Simone.
— Je croyais que vous aviez compris…
Simone se demanda comment elle
aurait pu deviner que l’on puisse vouloir la peindre nue. Elle nota la mine
déconfite de Julien. Elle eut même l’impression qu’elle lui brisait le cœur. Elle
s’empara donc subitement du drap blanc et se rendit derrière la cloison. Elle
ôta ses souliers, ses bas, son jupon et sa robe, mais garda ses sous-vêtements.
Elle revint vers Julien. Celui-ci l’effleura du regard.
— Il faut tout enlever, Simone.
— Je suis grosse. Tout va lâcher.
— Et puis?
Simone retourna derrière le
paravent et retira sa lingerie. Elle resta quelques minutes à réfléchir. Pendant
les dix dernières années de son mariage avec Charles, elle n’avait osé lui dévoiler
autant de nudité. Le regard de son homme suffisait à lui faire garder ses
vêtements. Elle n’essaya même pas de le retenir lorsqu’il sortit ses valises.
Elle revint vers Julien, s'assit
sur la chaise trop étroite et attendit en serrant contre son corps son ultime
rempart. Le jeune peintre arriva doucement près d'elle, lui demanda de se
déplacer de sorte qu’il puisse la dessiner de dos et souleva le drap. Ses
ordres furent impératifs tout autant que son toucher se fit délicat. En
quelques minutes, elle avait pris la pause.
Il fit quelques croquis d’elle
puis lui dit qu'il avait terminé. Une heure ne s’était même pas écoulée. Simone
enroula le tissu de nouveau autour d’elle et retourna derrière le paravent. Sa revanche
sur Charles avait été de trop courte durée.
Une fois rhabillée, elle vit au
mur plusieurs peintures d’une très belle jeune femme. Son regard amoureux
n’échappa pas à Simone.
— C'est votre copine, n’est-ce
pas?
— Je l'ai connu en effet.
— Elle est tellement jolie.
J’espère que vous ne m’afficherez pas à côté d’elle.
— C’est précisément mon
intention.
— Seigneur du ciel! Que
cherchez-vous à faire? Démontrer à quel point je suis devenue grosse, laide et…
— Pas du tout Simone. En vous
regardant, j’arriverai à me faire croire qu’elle aurait pu vieillir près de
moi.
— Et pourquoi? Elle vous a
quitté?
Dame Josée! Votre plume nous a manqué! Ce texte est un puits de beauté dans lequel on s'abreuve de vos belles paroles! Merci pour ce cadeau offert dans la générosité qui vous caractérise!
RépondreSupprimerHeureuse de vous retrouver à nouveau!
RépondreSupprimerVotre plume me réjouit!
À très bientôt!