jeudi 30 août 2012

Éva Therrien-Jolin.

Si je voulais lui faire plaisir, mais là, vraiment plaisir,
je cueillais pour elle les petites cerises à grappes que je déposais
dans un pot de verre rempli d'eau salée. Quelques heures d'attente
dans cette saumure faisaient gonfler les fruits et les rendaient succulents.
Je l'observais du haut de mes 8 ans, assise tout près d'elle, dans un coin
de l'immense cuisine. Mon arrière-grand-mère était maigre et très ridée,
mais ce qui m'impressionnait le plus c'était ses grosses lunettes de soleil qu'elle
portait du matin au soir dans la maison. De ses longues mains décharnées,
après qu'on lui ait vidé l'eau du pot, elle tentait de prendre tant bien que mal,
une poignée de petites cerises surettes. Elle ne grimaçait pas du tout tellement
elle savourait ce plaisir. Les nombreux noyaux circulaient de gauche à droite
dans sa petite bouche gourmande. Puis, elle en rejetait quelques uns,
puis quelques autres et replongeait ses doigts dans le contenant précieux.
Pas un mot elle disait, se concentrant sur sa collation.

Mon aïeule vivait chez sa fille, ma grand-mère et ne voyait plus. Elle se trouvait
dans une nuit perpétuelle. Lorsqu'elle se levait de sa chaise, je me plaçais dos devant elle et doucement, elle déposait ses mains sur mes épaules. À deux, on formait une véritable équipe. Oh! c'est pas qu'on allait très vite, mais on
avançait et je la conduisais à sa chambre. Je me sentais grande et essentielle
dans ces moments-là. Elle contournait le lit à tâtons, ouvrait et refermait un tiroir
rapidement, glissant ce que je croyais être une pièce de monnaie dans la poche de son tablier de dentelle usée. À la fin du parcours, lorsqu'elle reprenait place
dans sa chaise berçante, mine de rien, elle déposait une rondelle de 25 sous dans ma main. C'était sa façon à elle de me dire qu'elle m'aimait.

C'est longtemps plus tard que j'ai appris qu'elle était atteinte de diabète, ce qui
avait causé la cécité. Éva Therrien-Jolin, mère d'Antoinette, ma grand-mère, je te salue!

mercredi 29 août 2012

Bébé et les mots!

Bébé parlait bien. Il disait des mots drôles, des mots nouveaux.
Il apprenait à poser des questions. C'était souvent les mêmes questions. Il écoutait les réponses, enregistrant inconsciemment tout un nouveau vocabulaire.
Son mot préféré c'était "spectacle". Il prenait son temps pour bien le prononcer:
"sssspektakle". Un grand grand mot! Sa petite bouche articulait minutieusement. Vraiment, il faisait de beaux progrès et son entourage bavardait de plus en plus avec lui. Un seul mot semblait lui poser certaines difficultés. Un mot facile pour la plupart des gens, un mot tout simple, mais ce mot-là, il avait beau essayer, le répéter, le pratiquer à tout moment de la journée, il n'y arrivait pas. La bouche pleine, c'était encore plus difficile... Peut-être que sa langue prenait trop de place dans sa petite bouche et le faisait balbutier, enfin, bébé s'impatientait et sa maman, mine de rien, l'observait du coin de l'oeil en riant. Il avait pris un petit miroir et tentait de placer ses lèvres de façon à ce que le mot sorte sans faire de postillons sur la glace....Rien à faire! Ensuite, avec son doigt devant sa bouche, il sentait son souffle, car la première lettre faisait du vent. Ça l'amusait beaucoup, c'était un jeu! Bébé aimait ce bruit, ce vent et il avait tout son temps pour causer avec la.... f l e u r !


Une fleur.

J'avais une fleur que je gardais pour toi,
mais tu n'es jamais venu.
Elle est suspendue la tête en bas
et moi, je suis déçue.
Pourtant, une fleur c'est juste une fleur,
mais dedans, y'avait mon coeur!

La vie n'a pas le choix!


La vie se nourrit de nos échecs, de nos réussites,
elle se faufile entre nos élans et nos accalmies,
voyageant entre les réveils et les assoupissements.

Curieuse, elle s'immisce parfaitement à travers les fentes d'un quotidien
et recherche sans équivoque les êtres d'exception.
Elle me semble une lève-tôt élaborant des projets dans l'immédiat.

En apparence, une grande consommatrice de temps et d'énergie,
en vérité, une douce porteuse de contentement.

En apparence, une grande dame indépendante qui souhaiterait faire connaissance. En vérité, une curieuse, une gourmande qui prend les bouchées doubles, qui touche à tout là, maintenant, qui  se mêle de nos oignons, sur le champ!
 
La vie n'a pas le choix, ce qu'elle préfère, c'est vivre pleinement et tout de suite.



mardi 28 août 2012

Poème végétal


Sous le soleil d'échinops du printemps
Elle lilas, sous le vieux saule, livre à la main.
Pourtant libérée de ses chênes, elle pleure, larmes à l’œillet...
C'est qu'elle a le cœur-saignant
Car, à l'aube d'une pensée pleine de rosée
Elle tournesol en quête de réponse, mais en vain.

Palpant sa peau lys et immaculée, elle l'imagine
Larguant les amaryllis, en pleine galane
Narguant les rives de la bande de Zinnia
Armé d'un thym parfait
Conquérant des belles de jour
Elle qui croyait en leur amour immortelle.

Le maudissant à toutes les sauges
Elle le pointe de la digitale pourpre de sa colère
Repensant à tout ce calla fait pour entretenir leur relation
Rares comme de la monnaie-du-pape, les occasions où lui était aux petits soins pour elle
Désormais, elle sait que plus jamais ne devra augmenter les heuchères
Le souffle de ces pensées torturées ne lui procura qu'un pauvre bouton de rose de plus.

Seule, elle retourne sans faire de buis, marchant dans la reine des prés
Ne pensant qu'à centaurée d'amis véritables
Mais l'ancolie refait sans cesse surface
Solution de rechange, devenir moine-capucine dans une chapelle
Puis, sans s'annoncer, l'amour genêt de nouveau
Sous le visage d'un Narcisse tout en fleur devant un miroir d'eau.

dimanche 26 août 2012

Tourterelle et chlorophylle.

Les bruits de la circulation me parviennent par la fenêtre ouverte dans cet écho du matin à peine levé.
Quelques secondes perdues dans la rosée font entendre les chants entremêlés des insectes et des oiseaux de passage.  Lentement, le jour installe des îlots de présence.  Je savoure agréablement les couleurs vivantes qui s'étendent sur les murs de bois de la chambre encore engourdie de sommeil.  Ce sera une autre journée dorée inconditionnellement offerte sur ce calendrier de l'été 2012, dans la vallée du Saint-Laurent.

L'énergie qui circule dans mes veines  habille, nourrit mon corps d'un élan que je ne saurais réduire, encore moins ignorer.  Me voici longeant la série d'échalas de cèdre gris décorant le dos d'un long champ tout en broussaille.  On dirait une chevelure blonde coiffée de rosettes sortant d'une nuit agitée.  Je ris, j'accélère le pas, approchant de la forêt encore toute mouillée du matin.  Elle me semble aux aguets, peut-être en attente d'une visite, mi-curieuse, mi-suspecte.  C'est imposant une forêt, n'est-ce-pas!  Ça vous regarde dans les yeux, ça ne vous demande rien, vous laissant circuler, vous recouvrant tout entier dans un accueil de cathédrale!

J'entre en elle comme en moi-même.  Je connais toutes ses palpitations, ses repères secrets, les petites grottes pour me mettre à l'abri, les clairières aussi.  En la parcourant, je fais corps avec elle, mes pieds s'enfoncent dans l'humus douillet, mes jambes frôlent les fougères humides et mes mains caressent l'écorce de ses essences rugueuses.  Il me plaît souvent d'enlacer, comme le ferait une gamine, ces grandes cheminées enracinées et de me laisser bercer imperceptiblement, rêvant que je suis cet être si bon, si droit, tellement fort et utile.  Je puise alors à la source toute cette force tranquille, me voici tourterelle et chlorophylle, moins fragile.  J'écoute ma vie s'installer à sa place.






 

samedi 25 août 2012

Le moine vagabond

Douce piété
À pas de foulée
Acteur du non-attachement
Marche sans contentement

Mû par une foi absolue
Électron libre sans avenue
Il profite du gîte jadis offert
Sous un voile de prière

Inspiration profonde et sans lieu culte
Voguant sur les récits d'une science occulte
Incompris des incultes
Évitant tout tumulte

Souffrance cachée
Poussant à voyager
Sous un secret lourd à traîner
Le poussant à fuguer

Fausse identité
Facile à décliner
Quand sans papier
Vous vous promenez

Terre à vivre
Terre à voir
Terre à errer
Terre à déserter

Désormais sans autre choix
Devant tant de lois
D'interdire accès
À celui qui était

Va nu-pied
Désespéré
Finira par céder
Sous l'évidence refoulée

Tant de fuites
Tant de leurres
Celui qu'on appelait ermite
Voit enfin arriver son heure

Trépassé au passé dévoilé
Bien vite oublié
Finira dans les bras
De celle de qui il se joua




lundi 20 août 2012

La baguette


Noire
Délicatement ceinte d'une dorure visible pour lui seul
Elle pointe en son sommet la direction
Rythme et émotion
Fougue et allégresse

Lui
Vibre sous l'effet qu'elle provoque
Dictateur d'une symphonie qu'il veut sienne
Vision propre de son interprétation

Eux,
Duo harmonieux,
Enivrent
Les convives

Saoulés par le destin
Sentiment partagé entre musiciens
Devoir accompli
L’œuvre d'une vie

Sous des applaudissements incessants
Disparaissent interprètes
Seuls, sous hommages
Lui ainsi que sa baguette mordorée


dimanche 19 août 2012

Se trouver dans l'histoire.

Revêtir les mots de poésie,
Fleurir l'image, lui prêter vie.
Entendre musique de brise, 
la déposer sur le papier,
lui faire tourner les pages.
Observer l'invisible secret des êtres,
deviner la beauté sous la feuille de l'arbre,
le dessin de sable et de vagues que dessinent les pas.
Habiter un silence qui scrute les choses,
être ce sculpteur patient.
Prendre le bras de la rivière, la suivre amoureusement.
Se rendre jusqu'au détour d'une fable,
se trouver dans une histoire, même précaire, la comprendre, la repeindre.

samedi 18 août 2012

Tour de cristal


Froide et austère
Apparente sécurité
Sous un ciel décharné
Fière

Gravir ses murs lisses
Idéaux qui s’immiscent
Entre deux fausses croyances
Délaissant leur romance

Haute et inaccessible

Tour de cristal
Château de verre

Prison éternelle

Au-delà du réel

Ainsi s'est perdue la belle

La ballerine éclopée


Vrille sautillante
Sous projecteurs
Usée de labeur
Pourtant reconnaissante

Ballet d'une nuance
Esquivé par la danse
Rythmé sous la peau
N'est en rien nouveau

Paillettes
Ornements
Mouvements
Coquette...

Mue par le cœur
Espoir retrouvé
D'année en année
Corps à cœurs tout en langueur

Pulsion étourdie
Rêve d'être applaudie
Sous la clameur et la jalousie
Par un public déjà conquis

Réduite à l'inertie
Devant l’œuvre de sa bêtise
La voilà assise
Témoin de sa propre tragédie


Un poème.

Être ce duvet sous ta tête lourde,
une brise sur ton front mouillé,
une caresse, un poème.
Trouver le rythme s'accordant à ton coeur,
les minutes à la sauvette, encore disponibles pour deux. 
Puiser à l'espoir quelques notes imaginatives et
créer un beau grand sentier où l'on se rejoindrait,
disponibles et amoureux.
Cueillir les fruits bien mûrs de nos jardins entremêlés.
Prendre le temps avant qu'il nous prenne tout entier,
et marcher, juste sourire, respirer le même air,
laisser nos pensées se rejoindre dans les pastels
de nos croquis à venir.

samedi 11 août 2012

L'échelle.

Avoir une telle détermination, une telle confiance,
croire tellement fort que ce que je désire peut se produire
dans ma vie, à un point tel qu'il serait possible d'accrocher
un voeu directement à l'étoile filante.
Ça c'est fou! me direz-vous.
Mais pas du tout, simplement il me faut trouver l'échelle...
Et cette échelle, c'est la certitude que je le mérite.

Si j'étais comme un chien.

Si j'étais capable comme mon chien,
d'être si calme, si présente à ma vie, sans hâte,
sans peur, sans prétention.
Comment fait-il?
Pourquoi ce regard vers moi, on dirait qu'il me prend en pitié.
Il sait ce que je ne sais pas, lui.
Apprends-moi à ralentir, à être bien, à être là où je dois être,
sans rien de plus.
Et surtout à accepter l'instant devant moi, ce moment qui se présente,
cette minute à vivre tout simplement.
Donne-moi un peu d'animal sage dans ma vie d'humain si compliquée par moi.

vendredi 10 août 2012

La rivière dans un trou.

Un bon jour ma rivière est devenue très très basse, je pouvais voir les grosses pierres du fond
émerger à la surface de son faible courant.  Comme si son énergie fuyait de partout ou si sa tension artérielle affichait un problème majeur.  Mais où donc allaient pouvoir se réfugier les petits poissons?
La seule façon de résoudre ce problème était de compter sur le temps.  Et sur la pluie aussi!
Ma rivière avait vraiment la mine basse!  Elle était à vrai dire dans un creux de vague...une sorte de dépression!  Et à quelques mètres d'une chute en plus.  Des plans pour y rester!
Trop de chaleur, trop de beau temps, un déséquilibre de la nature.

J'imaginais le pire...une rivière tombée dans un trou, incapable de se relever, immobile!

Immobile et pourtant...

Immobile et pourtant tellement évadée, tellement partie, voyageuse, exploratrice...
acheteuse de rêve, habilleuse, vendeuse, infirmière, bonne élève, adolescente, amante...
pianiste, aviatrice, nageuse, peureuse, auteur, comédienne, amoureuse, contrariée, assoiffée,
rassasiée, perdue, retrouvée...

Lire me donne une place à me rendre lorsque je dois demeurer là où je suis!

L'eau plus puissante que la pierre.

L'eau peut sculpter la pierre.
Elle est plus puissante que cette dernière.
Mais cela prend beaucoup de temps pour le saisir!

Parfois je me sens comme l'eau et je prends mon temps.
J'explore des chemins de travers, des chemins inconnus de moi.
Je choisis de ne pas me laisser envahir par les obstacles, 
j'évite la catastrophe, la pierre lancée. Je refuse le combat.
Je m'éloigne juste à temps, je pars, je m'esquive!
Certains peuvent penser que je suis lâche, faible, que je manque de caractère.
C'est que souvent je n'ai plus le goût de me battre, mon énergie refuse.
Me voici alors sur mes chemins de travers, longeant ma rivière.
C'est là que je retrouve la patience de l'eau, la force tranquille pour ajuster ma vision.
J'attrape des fragments de courage, de confiance, de sagesse, en fait tout ce que j'ai
besoin pour poursuivre mon périple.

Comme la rivière.(G.É.)

La rivière ne s'arrête pas, elle poursuit son cours inlassablement.
Ce qu'elle veut c'est couler vers le fleuve, vers la mer et rejoindre tous les nuages par l'évaporation.
Et l'on connaît la suite, la pluie qui retombe sur la terre, les petits ruisseaux qui rejoignent la rivière...
Forte de cette image, je me sens aussi dans ce cycle infini, car de ma source à ma destination, je suis en mouvement. À travers les événements et les enseignements, j'avance, je me transforme, j'apprends. La vie est un habile sculpteur, un patient forgeron, une artiste à mille facettes.

J'atteindrai mon île.


Ça y est, je suis partie.  Mon grand voilier s'engage, il prend le large de tout son élan.  L'itinéraire complet se visionne dans ma tête, fidèle à toutes les répétitions.  Mes mains solides et habiles tiennent la barre; moi le seul maître à bord.  Quelques bagages, de simples nécessités, m'accompagnent jusqu'à bon port.  Je vois très bien devant, tout est immensément clair, bleu à perte de vue, invitant au voyage.  Mon coeur est léger, je chante, je tangue avec mon bateau, je vogue et voguerai aussi loin que le jour me prêtera sa lumière. Si la brume se lève, je la franchirai lentement, nous ferons connaissance. Ensuite, je jetterai l'ancre et me mouillerai d'elle. Il se peut que la vague s'impose et me prie de revenir.  Non, je longerai la côte, prévoyant le pire, baisserai voilure, puis au matin, je poursuivrai vers ma destination. J'ai du temps maintenant, du temps solitaire.  Le vent me poussera si loin devant et la voile tendue criera sous l'invisible poussée.  J'atteindrai mon île, sans costume d’apparat,
enfin moi-même. 

mardi 7 août 2012

Cadre de référence


Tout en effeuillant les photos fraîchement développées, je fus frappé par l'évidence d'un choc générationnel. Mes doigts touchant ce papier glacé figèrent l'instant présent dans une boucle temporelle qui me fit réaliser que mes références se perdront dans le temps. Celles qui ont guidé mes valeurs et idéaux resteront à jamais fixées dans le cadre de ma naissance.

Un concept qui me terrorise et m'émerveille à la fois. Je ne sais comment trop expliquer cet état d'âme temporaire, mais combien phare dans ma nuit. Je suis né sous un cadre référentiel qui ne peut être que mien. Le moment de ma naissance a cristallisé dans mon esprit les idéaux de mon époque, qui je l'espère n'est pas encore révolue.

Tout comme ces photos que je fais glisser entre mes mains, ma vie est un cliché, celui qui dictera mes références. Je sais que je me répète, mais l'image est trop forte en impression sur moi que je ne peux m'empêcher de me la repasser en boucle dans ma tête afin qu'elle s'installe confortablement dans mes certitudes. Ainsi est fait l'être humain, la répétition imprègne en nous le nécessaire à retenir.

S'installe alors en moi une image claire du concept que je veux exprimer ici. Voilà ce qui en ressort, cette pensée condensée qui émerge de ma tête oppressée par cette nécessité de l'expulser, telle une urgence qui ne peut attendre en proie à l'agonie.

Les références propres à notre époque/naissance définissent la lecture que l'on fait du monde actuel. On peut soit s'imprégner du contemporain et y contribuer ou encore garder notre cadre pour lire et comparer avec le avant qui ne reviendra pas, gardien d'une époque et d'une histoire que l'on a fait évolué nous aussi! Le fait est que soit on s'adapte ou soit on devient les futurs analphabètes de l'ère du numérique.