mardi 28 juin 2016

Vendredi soir, troisième partie

Les quelques marches qui me séparent de mon refuge, tremplin inversé, me font le plus grand bien. Serein serait plus juste comme mot. L’odeur d’humidité se mélangeant à l’alcool rend ce lieu unique. Brindille de folie dans une balle de foin, je peux respirer à présent. Ma main tient d’une légèreté apprise la main courante en bois de chêne. Beauté tout en grain, elle est lisse par endroit et rugueuse en d’autres lieux. L’usage du temps ne laisse rien au hasard, ainsi je franchis les derniers mètres et entre enfin dans mon antre, mon sanctuaire, mon temple. L’entre lieu qui se situe dans l’ambivalence du temps, dans le non-temps, l’infini du bonheur en exil. Une larme solaire/solitaire glisse de ma joie soudaine d’être enfin chez moi.

La musique joue à son habitude des notes feutrées, les quelques habitants de cet endroit ne se retournent même pas à mon arrivée, je suis un des leurs et j’aurais et ferai la même chose qu’eux. Loi non dite du non-dérangement, tous ont droit de venir sans se sentir observer, juger. Bref, tous sont accueillis comme des êtres égaux et acceptés comme ils sont. Confrérie sans rang. J’aime y être. Le temps ne semble pas y imposer sa loi. Non, au contraire, tout s’arrête.

Je me pose sur un comptoir en guise de transition. Le barman, d’un simple mouvement de tête entend ma commande. D’un calme déconcertant, méticuleux et délicat, il me tend le contenant de mon habitude. L’avantage d’être un client régulier. Je règle la note et me dirige vers le siège. Le plancher colle par endroit, liquide gaspillé, séché, oublié. Mon siège s’offre à mon siège que je pose sans attendre. Le tissu usé n’offre plus que le souvenir de ses motifs anciens. Je préfère les chaises aux banquettes. Elles sont plus stables et la levée du corps est plus facile, même quand les vapeurs de l’alcool nous embrument l’esprit! Je pose mon breuvage sur la table métallique. Un sous-verre de carton en publicité inefficace se glisse entre celui-ci et la table. Le mince collet de mousse s’étiole au gré du temps qui passe avant que je lui fasse honneur.

Sur la scène, les rideaux en rouge velours, noués vulgairement par des boucles grises. L’éclairage est tamisé, avec quelques vides. On y voit la poussière qui vole en suspension. Plusieurs ampoules n’ont pas été changé, depuis toujours ainsi, statu quo dans l’inadvertance du décor à maintenir ainsi et à jamais. Le charme de ce manque est toujours réconfortant, rappel de l’imperfection omniprésente dans ce monde qui se voile de fausse perfection. Que j’aime cet endroit!

Un piano trône en icône au centre de la scène. D’un noir poussiéreux avec quelques notes blanches devenues jaunes avec les milliers de fois martelés par les doigts nicotinés des pianistes. Cet instrument possède son âme propre. Il parle de sa voix unique. Le musicien n’en est que l’accessoire. Son histoire se lit sur les traces qui ornent son bois. Plusieurs verres se sont vidés sur lui dans toute l’indifférence du gaffeur. Ses pieds sont des œuvres d’arts méprisés, car pratiquement invisibles. Ils sont taillés en forme de serres d’aigles. On retrouvait les mêmes sur le tabouret, mais ce dernier a disparu depuis belle lurette. Victime d’une chute suite à la maladresse d’un musicien ivre de sa performance, médiocre à ce que l’on raconte. Le pauvre a subi les foudres inexcusables de cet imbécile. Les gens ont cette manie de s’en prendre aux innocents quand ils sont eux-mêmes pris-en en faute. Immaturité du système humain.

La musique se tait alors. Signal parmi les signaux qui indique l’heure de la prestation. Le silence s’éternise, on toussote. Les chaises crissent sur le plancher dans un ajustement accessoire. Quelques-uns se pressent au bar pour quérir leur ultime consommation avant le début du spectacle. D’autres se dirigent vers la vidange urinaire pour expulser les extraits d’alcool qui pulsent dans leur corps. Les artistes sont toujours inconnus du public. Anonymat dans le berceau de la quête de la reconnaissance. Fleur d’espoir dans un monde qui n’en a rien à foutre du succès des autres, tant que le silence se tait pour assourdir les voix qui hurlent dans la tête des occupants. Nous sommes tous ici pour les mêmes raisons. S’effacer le temps d’un moment, le temps d’une pause, accalmie entre deux temps.

Puis, des pas claquent sur le bois de la scène. Lent et régulier. Leur écho tambourine jusqu’au fond de la salle. Ils attirent l’attention de tous, car jamais on ne les a entendus. Nouveauté en guise d’introduction à cette soirée qui palpe l’envie d’un autre « encore et encore »… Les pas se font plus lents encore. Il arrive sur le seuil du visible. On le distingue à peine à cause de l’endroit où il se tient. Mi- ombre, mi- lumière, il oscille entre les deux. Il s’arrête et nous regarde. Il scrute la salle, l’analyse, compte les têtes et évalue son effet sur les spectateurs. Il avance afin que l’on puisse le contempler davantage. Ses cheveux sont noir ébène et plongent en valse sur ses épaules vautrées. Ils ne sont pas très nombreux sur l’ensemble de sa tête. En fait, la longueur semble vouloir combler cette perte capillaire pourtant répandue pour la majorité des hommes de cet âge. Il porte un tailleur vert lime. Audacieux dans le choix de cette couleur plutôt réservé au plus jeune. Sa chemise en d’un blanc cassé et porte des boutons grossièrement surdimensionnés. À bien y voir, je discerne des rosaces bleu foncé. Ses pantalons de lin bleu tombent droit sur ses souliers couleur crème. Incongruité dans le décor déjà hétéroclite, ils portent des bretelles lignées rouge et jaune.

Dans un geste lent et précis, il porte sa main à l’intérieur de sa veste et en sort une feuille de partition pliée en quatre. S’incline dignement en guise de salutation et va se poser sur le tabouret. Il nous regarde une dernière fois, hoche la tête se retourne. Toujours avec le même calme, il hausse ses bras dans les airs pour retrousser ses manches sans y toucher. Ajuste le tabouret de deux coups secs vers la gauche et un dernier vers l’arrière. Satisfait, il place sa feuille sur le lutrin ajouté à la coiffe du piano. Celle-ci peine à tenir en place. Elle tombe malgré la volonté du pianiste qui ne se surprend pas dans la réaction de sa partition. Avec son calme exemplaire, il la prend, tente de la moduler en tirant des deux extrémités afin qu’elle retrouve son aplomb. Seconde tentative. Réussie. Elle obéit maintenant à la volonté de son compositeur. Il refait les mêmes gestes parce que la récalcitrante avait fait échouer son rituel de mise en marche. Les bras en l’air et le tabouret et enfin il avance ses mains du clavier.

La salle est en attente dans l’impatience qu’on lui connaît. Cependant, nul ne veut presser cet homme qui impressionne de par son calme et sa confiance malgré ses airs particuliers. Même le barman s’est immobilisé et patiente sans bouger, lui qui a la fâcheuse tendance de pianoter de ses doigts longs sur le comptoir en regardant d’exaspération le plafond quand un client hésite à choisir son breuvage.

La tension est palpable et tous volaient d’envie d’enfin entendre les notes chanter de ses cordes frappées par les petits marteaux encastrés. Le silence, lourd et épais, étend son voile sur les visages des êtres torturés qui patientent depuis trop longtemps la venue d’une mélodie venue faire taire celle de leur tête encrassée.

Le pianiste ferme les yeux, étire ses doigts et…




mardi 14 juin 2016

Vendredi soir, partie 2

Dans l'écho de ma nuit, lune de ciel en hochement de tête me fait signe d'avancer. Comment ne pas obéir face à l'autorité de cet astre immaculé. La pluie s'amenuise en gouttelettes parsemées. Elle semble s'essouffler, peut-être a-t-elle fini de pleurer. Moi, jamais je ne pourrai cesser. Mon cœur de pierre saigne de voir la vie se consumer sans que je puisse même effleurer le bonheur de pouvoir vivre un peu. Vie de bohème oubliée dans les décombres de ce que je valorisais dans mon jadis pourtant pas si lointain.  Me plaindre je pourrais, mais accepter j'ai fait.

D'un pas lent et régulier, résigné, je poursuis ma marche. Mes chaussures en toile noire sont à présent humide et l'inconfort qu'elles me donnent gêne ma démarche. Je n'aime pas me sentir incommodé, mais la nuit est ainsi faite. Le feu rouge qui me fait face me force à attendre. Patienter entre deux allers. Bref, brèche en soupir d'une foulée refoulée. Une voiture à ma gauche tourne au ralenti. Les occupants lèvent les yeux vers le gyrophare. Le conducteur semble impatient, car de sa main droite, il pianote le volant de cuir gainé. C'est un homme, probablement fin cinquantaine à voir le pli en vestige et en souvenir de ses années passées. Le temps ne façonne pas uniquement le paysage, il burine aussi le visage des gens qui passent. Cicatrices naturelles en vallons et sillons, elles obligent les porteurs d'afficher leurs vulnérabilités. On peut aisément reconnaître ceux qui ont de ceux qui ont trop pleuré.

La passagère, elle, fixe le néant, égarée dans le siège d'une pensée savoureuse à voir ses yeux briller. Quelques spasmes au niveau du coin de sa bouche me laissent croire que son voyage la fait rêver. Elle sourit dans sa voltige vaporeuse. Puis, sans comprendre, elle revient sur notre monde, notre réalité. Elle fait un tour d'horizon afin de bien saisir le lieu où elle se trouve. C'est alors qu'elle me regarde. Un regard si franc et perçant sous lequel les iris bicolores me transpercent d'impertinence dans mon inviolabilité fragilisée. Je suis toujours mal à l'aise dans ces situations. Comme si cette relation, éphémère certes, était intrusive, mais pourtant dénudée de tout artifice, d'une sincère franchise parce que le temps ne nous permettra pas de la continuer, alors pourquoi se mentir...

Je risque un sourire qui m'est retourné. Cet instant est figé dans le temps. Tout s'arrête et je me sens bien. Flirter avec le bonheur, en goûter le fruit, en sentir la fraîcheur, quitter l'amertume et se sentir léger... comme j'aime voler. Fracas de verre dans ce moment unique, rompu cette sensation qui s'étiole par le vert qui annonce le départ de la Dame au sourire.

Ne reste que le souvenir, et déjà...et déjà... elle s'enfuie

Je traverse le pavé encore humide, le corps amer d'avoir vécu.   L'antre de ma destination se dessine devant moi. Un demi-sous-sol où se massent les gens en quête de d'oubli sous un couvert de musique feutrée et d'alcool bon marché. J'aime cet endroit, il me ressemble, il est moi en quelque sorte. Communion entre deux entités qui se fondent de par la nécessité de s'unir. Symbiose des amants. Je ne suis pas le premier arrivé. D'autres y sont depuis un moment. Eux aussi ont besoin de ce lieu pour vivre encore un peu. Se soulagé du quotidien par la normalisation commune du mal-être. Solidarité entre semblables amenuisent la lourdeur parce que répartie en plusieurs. Un miroir est toujours un reflet, le nôtre, tandis que partager allège et givre d'un baume nos douleurs, le temps d'une soirée, jusqu'à la prochaine.


Je pousse la porte et entre. La musique qui joue se fraie un passage difficile à travers les caisses de son usées par le temps. Tout est à sa place. Encore et tant mieux. 

dimanche 12 juin 2016

Vendredi soir, partie 1

Vendredi soir, la lune affiche son sourire en croissant de blanc. Fidèle compagne des âmes en peine, je lui retourne un clin d’œil en guise de salutation. Je m’accoude sur une poubelle, coin de la cinquième avenue et de la rue de l’église. L’air de rien et pourtant l’air est bon. Se glisser sous le voile de la nuit m’a toujours plu, du plus loin que ma mémoire puisse se remémorer. Ce moment, comme un lieu de tranquillité, comme ce lieu de passage, de transition et tellement riche de vie. Je regarde le vide qui m’entoure tout comme celui qui me hante et m’habite, sublime reflet aux allures de mer noire en nappe d’huile. Désert dans une nuit d’ombre et de néant. Bref, le bonheur en contraire de ce qui est. Je ne sais comment m’expliquer cette dualité qui cohabite en parfaite harmonie : bonheur/tristesse formant l’équilibre parfait. Alors que ma rêverie s’estompe sur un bruit d’autre temps, un détail coupe la nuit de son mutisme sélectif

Au même moment, passe une mère et sa fille. Elle marche rapidement, sous la pression d’un retard, j’imagine. Quel drôle d’heure pour être à l’extérieur avec un enfant si jeune! Peut-être une urgence, qui sait? Tout ce que je vois c’est qu’elle double d’ardeur et enjambe les trottoirs avec l’agilité d’une sauteuse de haies aux jeux du Commonwealth. Le tableau est magnifique, quoique…

Je les suis du regard le temps qui m’est donné de les voir. Non qu’ils m’intéressent, simplement que je ne suis pas pressé. Rien ne m’attend sinon que l’impatience de l’imprévue. Je peux ainsi voir les plis sur la jupe rouge de la Dame. Les zébrures sont des éclairs qui lui teintent la cuisse. Ils sont sur le côté droit et forment une fresque visible les jours d’orage. Sa jupe descend tout juste au-dessous des genoux, ce qui ne fait qu’augmenter mon admiration. Je me vois mal réussir ses exploits avec un tel handicap. Que dire de son veston, de couleur assortie, avec des manches trois-quarts. On la croirait tout juste sortir d’une réunion important. D’ailleurs son maquillage, quoiqu’abondant, ne parvient pas à masquer l’angoisse qui la taraude. La petite quant à elle, suit sa mère sans même lever les yeux. Sur son dos un sac surdimensionné. Il doit contenir l’essentiel de l’essentiel, soit peu pour un enfant de cet âge. Le lacet de sa chaussure gauche est dénoué et se balance au gré de ses foulées irrégulières. Elle regarde le sol et suit sans rien dire. Au coin d’une boutique, fermée à cette heure, elle tourne et s’éclipse de mon regard, et déjà je les oublie. Un moment ayant trébuché dans cette soirée encore absente.

La pluie s’invite. Fine et chaude, comme seul l’été peut nous offrir. Je remonte le col de ma veste pour cacher mon cou si fragile. Sans me presser, je me glisse sous l’auvent d’une tabagie qui affiche de ses néons rouges qu’elle est fermée pour la nuit. Tant mieux, je ne me ferai pas chasser. Quelques nuages se massent devant la lune qui continue de sourire. Le vent soulève des papiers jaunes et verts qui dormaient sur le pavé qui se teinte de gouttes de pluie. Rebus dans la nuit, rebut de la nuit, ces feuillets vantent l’ouverture d’une nouvelle boîte de nuit, une autre, une de plus, à deux pas d’ici. J’entends le tramway qui passe dans une rue plus loin. J’image sans effort le wagon à moitié plein avec ces têtes qui ballotent au gré des arrêts fréquents. Les passagers tenant d’une main l’ourlet de cuir au plafond et de l’autre l’écran aux reflets bleus perdant le fil de temps pour rester à la page de quoi… je l’ignore. L’important… c’est d’être branché, à quoi?

Dans le haut de l’immeuble où je me tiens, j’entends un couple se hurler dessus. Des cris et des pleurs entremêlés de bruits de vaisselle qui éclate. Classique, mais pourtant courant, commun et triste malgré tout. Je n’ai jamais compris comment deux individus peuvent s’infliger la cohabitation quand seuls les compromis sont les vecteurs de l’harmonie fragile. Est-ce si difficile de comprendre qu’il ne sert à rien de forcer l’impossible? L’être humain à ceci de gênant qu’il se punit lui-même par peur de prendre le risque de vivre le bonheur. Mais qui suis-je pour les juger, moi qui… moi qui…



lundi 6 juin 2016

L'amour est dans le pré

Cultiver la chance
Dans le pré de l'espoir
Pour que germe en abondance
Le fruit de votre labeur

vendredi 3 juin 2016

Bulle d'une autre nuit...

Danse en note de mai sur un air de juin 

L'animé de son être se délecte 
Transe solennelle dans la joie suave et délectable 
Il se ravie d'avoir souri de bonheur

La rencontre entre soi et l'autre 

Dans l'intimité de son innocence 
Sous de palabres sucrés 
Se disjoints d'abnégation 
Pour que fleur en octobre 
Se sème à nouveau 
En de terre plus fertile 
Aux vertus bienveillantes

Croire au destin

C'est aussi croire en demain 
Alors brille sous la nature sereine 
L'antre au bon vouloir 
Et que s'alimente de bourgeons
La nuit accueillante en ...
Rosée sous une pruine de jour