samedi 30 avril 2016

Wi-Fi, Fin

L’univers de sa conscience était ébranlé. Comment était-ce possible? La question, en émergence dans sa tête, angoissait devant l’étendu des réponses possibles d’un suis-je encore en vie? Étrange dans l’incongruité de la situation, elle était pour la première fois de sa vie, en face à face avec elle-même. Ce qui la marquait encore plus était le teint de sa livide apparence. Elle se trouvait vide, éteinte, pourtant, elle voyait son corps pulser sous ses respirations lentes et constantes, donc elle vivait. Rassurée?

Les brancards qui accueillaient les occupants étaient d’un gris mât. En nombre incalculable, disposés à égale distance entre eux, ils occupaient l’espace en entier. Comme elle ne voyait pas la fin de cette pièce, elle en conclut qu’elle était peut-être en contact avec l’infini. Vertige. Les draps blancs recouvraient la quasi-totalité des individus logés dans cette pièce. Seuls leurs visages vierges étaient à découvert. En portant une attention particulière à l’ambiance, elle put distinguer un mince filet de bip, à peine audible, répété dans un rythme de métronome bien ajusté. Lent et constant, il se faisait discret, mais persistant. Les similitudes avec une salle d’hôpital se croisaient de plus en plus. Elle qui détestait ce genre d’endroit, elle y était plongée entièrement, submergée et inondée. Que dire de cette odeur de désinfectant? Ces lieux aseptisés lui donnaient le tournis et la nausée. Faible en résistance dans ces lieux, elle avait toujours dû lutter contre cette sensation qui la rendait étrangère à elle-même.

Elle s’approcha autant qu’elle put de sa jumelle, se faufilant entre ses deux voisins de civières en prenant bien soin de ne pas les toucher. L’image qui surgit de cette rencontre semblait signifier qu’elle était à son propre chevet. Comment s’assister dans de telles circonstances? Malaise. Puis, pris dans un élan de compassion intra-personnelle, elle voulait s’enlacer, se pardonner. De quoi, elle l’ignorait encore. Elle franchit donc les derniers pas entre elle et sa copie-conforme.

Délicatement, elle lissa une mèche de cheveux rebelles qui hachurait son front et la remis en place avec les autres. Ce geste lui donna des frissons, autant de par ce contact que par la nature de son geste. Remettre en place avec les autres… Puis, elle glissa ses doigts sur ses joues, tout comme le faisait sa mère pour la réveiller du temps de sa jadis enfance. Elle se surprit à répéter ce qu’elle voulait fuir et oublier, pourtant c’était en elle, indélébile. Lutter contre soi-même revient à perdre d’avance un combat déjà joué. Une tristesse affable monta en elle, constat d’une prise de conscience en abysse d’évidence. Une larme solitaire roula alors de ses yeux vers celle qui lui faisait face. Malgré cette chute lacrymale, l’alitée ne broncha pas, nulle réaction, inertie inerte.

Voulant à présent se prendre dans ses bras. Elle plongea sa main sous la clone de sa personne pour la chérir de sa propre chaleur quand elle toucha une substance froide et tubulaire. Elle prit l’objet en question et constata qu’elle était branchée, connectée. Intriguée, elle suivit la destination de cet intrus. Ce filage sortait de sous la civière pour se diriger vers une boîte qu’elle n’avait pas encore vue. Se penchant davantage, elle remarqua que tout comme elle, les autres en ce lieu, étaient sous soluté et branchés. Comme si tout ce monde vivait sous un respirateur artificiel.

Un smartphone géant pulsait en eux tout le nécessaire pour vivre et il aspirait ce nectar virtuel en oubliant leur essence propre. Elle comprit alors que les êtres sans visage devaient être ceux qui étaient en phase terminale et que leur identité reposait à présent dans la bonne volonté de la toile. Ils étaient des êtres connectés au vide… La scène lui rappelait vaguement une scène du film Matrix.

Voulant mettre un terme à ce lavage de cerveau, elle entreprit de tout débrancher, mais dès qu’un fil était déconnecté, un nouveau réapparaissait, et ce, indéfiniment. Telle une pieuvre qui étend ses tentacules pour agripper et maintenir ses proies sous son étreinte, elle luttait contre ce monstre à la pomme filigranée tenu par un homme vert. Dans ce décor USB, voyant qu’elle ne pouvait libérer et se libérer de cette emprise, paniquée et sans solution aucune, elle agrippa la civière la portant et courut le plus vite qu’elle put. Elle ne se souciait plus désormais des autres qui l’entouraient, en renversant quelques-uns dans sa vaine fuite. Comme fuir sa propre prison, comme nous sommes nos propres barreaux, notre propre bourreau.

Sa fuite transformait le calme de ce sanctuaire en un vacarme autre. Les collisions métallisées se multipliaient et le son sec des fils se rompant jouaient de concert avec les connections rétablies par le monstre des lieux. Elle gagnait en distance et en écart avec son agresseur aux allures de faux-frères. Le souffle lui manquait mais elle poursuivait malgré tout. À présent, seule sa survie comptait pour elle, elle se moquait donc des dommages collatéraux des autres occupants. Plus le temps passait entre les épisodes de connexions, plus le visage de la comateuse reprenait des couleurs. La vie revenait en elle. Encouragée, elle redoublait d’effort à se faufiler et rompre les liens qui luttaient pour la remettre en état de soumission.

La vue est une berceuse d’horizon et son étalement à perte de vue décourage les plus vaillants quand la destination finale n’est que leurre. Ainsi, plus elle avançait, plus l’infini se dressait tout autant. Elle semblait vivre un continuel  recommencement, mais sans l’espoir d’une fin heureuse, sans une fin tout court d’ailleurs. La vie lui brûlait la vie... bref tout était vain.  Ainsi, Flavie, voyant que la fin de son tourment n’était qu’un rêve, ralentit alors la cadence. D’ailleurs, pourquoi fuir et fuir qui ou quoi au juste… Dans ce délai de réflexion, elle ne s’aperçut pas que certains fils s’étaient agrippés à elle. Sournoisement, par le revers de cheville, il pompait déjà l’essence de son âme. C’est quand le second lui sauta à la jambe qu’elle comprit que la bête s’en prenait à elle. Ce berger bienveillant n’aime pas qu’on lui résiste. Le retirant aussi vite qu’elle le put, et malgré sa bonne volonté, d’autres vinrent se loger en elle. Un cri de détresse et de désespoir emplit la pièce, le tout accompagné des perles de ses yeux qui ruisselaient abondamment sur ses joues. Elle sentait à présent son identité se perdre petit à petit, des parcelles de son existence qui s’étiolaient comme la neige au printemps. Des souvenirs pourtant chers à ses yeux s’effritaient comme la roche friable des falaises de grès. Elle perdit donc ceux qu’elle avait imaginés plus tôt dans les nuages. Les larmes s’intensifiaient tout comme sa douleur qui grandissait de voir et savoir que jamais plus elle ne serait, jamais plus. Épuisée et lasse, elle chuta violemment sur le sol de cette pièce damnée et tout ce qu’elle pouvait voir, c’était les fils qui prenaient plus de place en elle et l’entortillaient tel un cocon numérique. Fort à parier qu’aucun papillon n’en sortira, bien au contraire. Au final, elle fut délicatement recueillie et posée sur la civière qui contenait sa doublure avant que soit rabattus sur elle, les draps blancs de son trépas.

Sueur en abondance sur son front humide, elle se releva d’un trait sur son lit. Soubresaut dans son réveil, elle tenta de chasser cette vision qui lui restait en mémoire. Pour elle et elle seule, elle répéta en boucle, ce n’était qu’un rêve, ce n’était qu’un rêve, tel un mantra protecteur. Bien malgré elle, ce cauchemar se plaisait à jouer du supplice dans ce petit corps sans défense, vulnérable, extérieur à elle-même. L’angoisse, en plante parasite s’accrochait en elle et les sueurs froides glissaient sur ses joues, se mêlant à ses larmes qui fuyaient du regard l’éplorée. Elle voyait et revoyait sans cesse cette bête qui la pourchassait et le corps froid qu’elle poussait vers la fin de son exil. Son cœur en proie à la panique généralisé, pulsait en vain vers un retour à la normale... Que faire pour taire cette vision, que faire pour chasser d’elle cette angoisse qui la triturait de supplices bien gras. Sans ressource et démunie, démolie... Qu’y pouvait-elle, du haut de sa jeunesse en berne, de son inexpérience?

Puis, en réflexe bien huilé, elle palpa de sa main encore engourdie, le téléphone de son malheur. Rassurée, résignée, elle s’empressa de comptabiliser les « like » de son dernier statut Facebook avec les dernières onces d’énergie que possédait ce dernier…





jeudi 28 avril 2016

Entre nous...

Entre rire et pleurer
Entre vivre et souffrir
Entre danser et ramper
Entre sourire et le feindre
Ne reste que le moment à saisir
De se taire et d'en profiter

mercredi 27 avril 2016

Chasse grisaille

Il avait cueilli cette magnifique fleur de brouillard qui se parfumait d'effluve de givre du printemps.

 Aurore diaphane en jeu d'ombrelle de dentelle se dévoilait en parcelle de bon temps.

Portail de nature entre deux saisons, il chevauchait cette ambivalence.

Au gré de sa lumière en regain de croissance, qui l'eut cru.

Les pousses fraîches, en verts tendres, émergèrent du sol.

Glaive végétal pointé, en bordure hérissée.

Reprendre ses droits, elles voulaient.

En tapis de jade gazonné.


dimanche 24 avril 2016

Écho de pleine lune

Croissant de blanc sur un cercle éteint
La nuit porte secours aux exilés
Guidant leurs pas vers, l'oubli d'eux-même

Nul autre que nul autre que personne ne devrait
Ressentir en solitude de sa nausée
Portée en soi le dégoût de sa personne

Âpre en abysse sur un tertre découvert
Palissage de vent entre deux écueils
Laboure les tourments du demain d'hier

Grain de sel sur un venin de cyanure
Parfume le pain de son quotidien
Nourrit l'âme du trépassé futur

Broyer du noir au mortier de ses doutes
Et voilà que martèle l'angoisse, l'angoisse...
La pelle de sa cavité terrestre creusée

Présent à mes dépends, je suspens
Je vide de ma vie, je me vide d'elle
Pour que rien ne subsiste d'hier d'avant.

Jour en écho de soleil
Trébuche d'ombre sur son reflet
Pour la lumière de nouveau soit



dimanche 17 avril 2016

Wi-Fi, troisième partie

Soudain, le ciel s’anima et des nuages se formèrent au-dessus de sa tête. Duveteux, elle les admira et joua à identifier les formes qui se dessinaient dans le ciel tacheté de blanc à présent. Classiques au début, elle n’y voyait que des moutons ou des cœurs. Puis, son imagination se remit en marche et d’autres images défilèrent sous ses yeux. Simples au départ, comme ceux qui s’apparentaient à un cerf ou encore une loutre, d’autres, plus complexes, affichaient des scènes familières. Étrangeté dans la ressemblance avec des événements de sa vie, comme le parc au coin de sa rue avec l’orme au-dessus du banc en demi-lune. Que dire, de celui qui se matérialisait au fil de ses pensées? Comme si elle était en parfaite communion avec les moutons célestes. Elle poussa l’audace jusqu'à forcer l’apparition d’un souvenir d’enfance qu’elle chérissait par-dessus tout. Le défi était de taille et elle commençait à douter de sa demande. Les nuages acrobates se liaient et se s’imbriquaient sans réussir à former ne serait-ce que l’once d’une réussite.

Puis, elle comprit, la scène se faisait par monceau. L’émotion à fleurs de larmes de voir l’exactitude des détails qui se formaient devant elle. Le jour où elle avait reçu la visite de sa tante pour son anniversaire de ses 7 ans. Cette tante habitait en Écosse depuis deux ans, alors sa venue était plus qu’inespérée. Tout y était, l’avion qui se posait sur la piste, la jolie valise rouge qu’elle traînait et que dire de la boîte à chapeau qui y cachait son cadeau. Celui qu’elle garde depuis toujours sur la tablette de son placard. Une poupée de porcelaine avec une robe rose et bleu brodée.  

Comme les fourmis de ses jambes reprirent une vive allure, elle reprit sa marche et força la cadence. Cependant, à marcher ainsi, elle manqua un détail à ses pieds. Une roche de couleur à s'y méprendre se dressait au travers de sa route et la fit trébucher. Maudissant cet objet qui ne devait pas être là, elle se massa la cheville ayant accusée le coup. Bouillon de colère en provenance de sa source en bitume de magma fusionné, Flavie tempêtait. 

Pour se venger de cette chute, elle décida de foudroyer la coupable, matière inerte à la volonté inerte tout autant, mais elle se blessa à nouveau. Elle voulut alors la prendre dans ses bras et la lancer au loin, ce qu’elle fit d’ailleurs. Étrangement, la roche vola longuement dans les airs avant de retomber. Gravité sans état d'âme, la courbe était au-delà du réel et même au-dessus. Quelle ne fut pas sa surprise de voir que dès l’impact entre le sol et la roche, une ouverture béante se creusa et tout ce qui l’avoisinait se trouva alors aspiré par cette nouvelle cavité. Tourbillon en spirale nocturne sur une teinte d'orangé. 

 Consciente du danger, elle entreprit de courir et de s’éloigner au plus vite de cet aspirateur géant. Bien malgré tout, elle ne put résister bien longtemps. Résignée, elle se laissa glisser dans le noir qui la gagnait. La peur prit alors naissance dans son esprit et glaça ses capacités nouvelles à réfléchir. Paralysée elle était… Le temps semblait s’être effacé et la latence dans l’inertie s’imposa alors. Elle savait qu’elle perdait le contrôle sur la situation et ainsi que perdre sa raison. Elle qui venait à peine de retrouver ses capacités personnelles. Pourquoi avait-t-il fallu qu’elle lance ce caillou qui causait sa perte? Les regrets sont une mer morte dans laquelle se noient les volontés d'avant-hier.  

Tunnel impalpable dans sa chute, elle ne pouvait lutter contre sa situation. Elle descendait au plus bas de sa nuit vers un astre éteint agonisant. Mourir, oui, la mort l'attendait sûrement au détour de sa tragédie. Regrets de perles de larmes en écho mordillaient ses joues roses de voir le jour se tarir de sa beauté. Pourquoi croire en demain, s'il n'existe pas? 

C’est alors qu’un point blanc naquit devant ses yeux, à peine visible. Tel le pigment isolé dans une mosaïque monochrome, il indiquait la destination, sa destination. Priant en vain espoir pour que ce soit le réveil, le sien pour que cesse cette chute, cette perte, cette descente, sa fin.  

Ce dernier grossissait. Intriguée et rassurée, elle patientait et espérait voir dans cette lueur une note d’espoir. Le point muta pour devenir enfin assez grand. Puis elle vit que ce qui le composait était en réalité une vision étrange. En effet, quand elle fut à proximité, elle aperçut une salle immense dans laquelle reposaient des milliers de gens. Ils étaient tous alités et un silence de mort régnait dans ce lieu aux allures de faux sanctuaires. Elle scruta du regard à la recherche d’un visage connu. Mais en y regardant bien, elle ne voyait qu'une majorité de faces sans visage neutre et blanc sans aucune expression. L’image lui glaça le sang, mais pas autant que ce moment précis où elle remarqua une petite fille qu’elle reconnut sans difficulté. C’était elle qui reposait sur un de ces lits immaculés.






samedi 16 avril 2016

Complémentarité des contraires

Clameur de tonnerre en sol de friche, écho des trépassés dans le demain de son hier. La nuit tombait sur les épaules des marcheurs éperdus, épuisés et las. 

Le poids de la pénombre enveloppait d’un feutre noir et froid la peau de ceux qui s’éternisaient sur leur néant. Ce manteau acre et amer était commun à tous ceux qui n’en veulent plus. Et demain déjà, la vie tombe et meurt de son silence, de se voir ignorer. 

Le temps est un tourment qui s’écoule et effrite le cœur des hommes. Mille visages en larmes nappent le sol humide de ces chagrins communs et pourtant… la pluie ne lave et n’absout aucun péché, bien au contraire, le fait croître.

Qu'est-ce qu'un grain de lumière d'espoir si ce dernier est aussi créateur d'ombre? 

Alors, d'une prise de conscience, le dernier marcheur à l'âme vagabonde, sait et connait la pertinence de la collaboration complémentaire mixte des contraires. Comme quoi, la pureté n'aura et n'existera jamais. Et triste constat que tout est nécessaire, même ce qui heurte notre bonheur.

jeudi 14 avril 2016

Déclin d’œil


Le nacre de sa détresse frissonnait de voir se tarir le jour de sa beauté... Tourbillon de noir s'étiolait alors sur son écho de son ultime soupir. Murmure en adieu, il ferma alors les yeux...

lundi 11 avril 2016

COULEURS



ROUGE DE CRIS SUR CORDES SANG CIBLES

VERT D'EAU EN LARMES DE DESENVIES

GRIS DES MINES D'ENTRE ASSISTES

BLEU AUX AMES DES CAS BOSSELES

JAUNE POUSSE UN VERS SENS UNIQUE

 



mercredi 6 avril 2016

Wi-Fi, partie seconde

Rêve en satire sur un fond de vérité crue, la petite Flavie se retrouva sur un sol bien pauvre. Choc dans le sursis de sa compréhension, elle était confuse… Éthérée et atterrée par le décor qui lui servait de porte d’entrée onirique, elle prit le temps de bien observer son environnement diffusé en image par son subconscient. Tout autour d’elle, une terre rouge et sèche était balayée par des vents forts. Seule la poussière volait et occupait l’espace. Elle prit le pouls de sa descente dans cet univers étrange et tenta par tous les moyens de retrouver son sang-froid. Balayant du regard l’étendue de sa prison sans barreau, elle risqua quelques pas, cherchant âme qui vive dans ce désert de cendre.

Inconfort dans l’angoisse la nourrissant, elle peinait à choisir une direction, encore moins une destination. Comment s’orienter quand tout est copie-conforme autour de nous? Détail dans l’absurde de sa réflexion, comment peut-on avoir peur de se perdre quand on l’est déjà? Seul le point de départ importe à ce moment précis de la déroute.

Rien de distinctif auquel se fier… Le néant de l’absence de repère força la demoiselle en peine de prendre une décision avec ce qu’elle n’avait plus utilisé depuis une éternité… son instinct. Constat dans l’évidence de sa méconnaissance d’elle-même, elle maudissait sa main de ne pas avoir googler le chemin à prendre. Confuse, elle marcha pendant bien dunes à la recherche d’un signe de vie, d’un ancrage à son désarroi. Hélas… trois fois hélas…

L’air sec lui volait l’aisance de sa respiration. Étrange sensation qu’éprouver ce malaise dans le monde onirique. Sa progression était lente et pénible, ses pas glissaient dans le sol friable de ces dunes sans fin. Elle aurait été tentée de faire le parallèle avec son nouvel habitat et la planète rouge. Seul détail anodin qui les différenciait , l’air y était présent.

Solitaire par dépit, elle redoubla d’allure dans sa quête. Sa tête tourbillonnait à cent à l’heure tant son esprit était disponible. Étrange d’avoir cette voix en monologue interne et de ne jamais l’écouter… Cette sensation d’être envahie par son propre soi souleva en elle bien des questions. Force était d’admettre qu’elle ne se connaissait plus et que le fait de s’écouter à nouveau l’angoissait au plus haut point. Qui suis-je si je ne suis plus visible aux yeux des autres? Comment puis-je savoir si ce que je suis est tendance ou aimé des autres? Comment être sans, comment peut-on être sans… Cette dernière question demeura en suspens et redoubla le niveau d’anxiété en elle. Un étau qui passait par là lui noua la gorge à ses dépens.

Elle devait désormais apprendre à être autonome et penser par elle-même. Quelle galère! Cette situation était réellement désarmante face à un monde qui ne pense plus, mais qui demande à la toile de le faire pour lui, pour elle… Ignare, tel est le statut de celui qui ne demande plus de savoir, mais demande seulement, sans conviction d’intégrer ces notions… Dictionnaire vierge et amnésique.

Inondée de questions, d’incertitudes, elle se permit une pause au milieu de nulle part et partout à la fois. Elle s’allongea alors sur le sol bouillant et se mit en mode réflexion. Elle devait, pour s’en sortir, mettre un terme à sa paresse intellectuelle et faire fonctionner ce qui lui restait de neurones encore actifs, et fournir ce qui était hors de commun pour elle et ses semblables, soit un effort… Le défi était de taille et d’entaille dans cette boîte crânienne qui ne servait plus qu’à consommer des donnés sans même les remettre en cause, en question.

De par cette action, elle se mit à penser à l’orientation et la course du soleil dans le ciel. Ainsi, elle pourrait fixer les points cardinaux et suivre la même voie sans en dévier. Émerveillée par cette idée et surpris de voir  qu'elle pouvait influer sur la situation,  elle regagna en confiance et se dit qu’elle allait peut-être s’en sortir et voir la fin de son cauchemar, s’il en est un. Cheminant à présent vers l’est, elle se mit à observer son environnement avec plus d’attention. Au départ, tout était semblable, du pareil au même. Mais plus elle poussait l’inspection, plus elle pouvait remarquer des variations dans le type de sol, la couleur de celui-ci ainsi que sa composition. Fière de ses nouvelles facultés mises au rancart, elle continua à observer tout autour d’elle à la recherche de signes distinctifs. Elle nota que le vent soufflait vers l’ouest et qu’il était plus chaud qu’à son arrivée. Que dire de l’orientation des dunes, elles pointaient vers la même direction, étrangement, elles semblaient afficher une direction, une route à prendre. Détail précieux qu’elle gardait en guise de bouée de sauvetage.

dimanche 3 avril 2016

Wi-Fi, première partie

La lune en soleil de nuit s’était pointée dans un ciel vierge de mouvement. Inertie des astres, inertie des airs, désert inerte. Le silence l’accompagnait en écho étouffé comme un partenaire soucieux de ne rien froisser…

Un nuage de brise soufflait sur les feuilles qui bruissaient de ces douces chatouilles. Le parfum persistant et agréable des asclépiades tissait ses effluves parmi les chanceux qui s’étaient pointé le nez par les fenêtres ou encore les rares et parsemés veilleurs, rassemblés autour d’un feu extérieur. La nature a cette naïveté qui la rend si charmante, voire humaine.

Les lampadaires répandaient sur le pavé leurs rayons jaunes tandis que les papillons de nuit valsaient dans sa corolle incandescente. On cherche tous la lumière, qu’importe laquelle. Les rues du village s’étaient vidées de ses occupants diurnes. Seule la faune avait repris ses droits sur ses artères goudronnées. Vie parallèle en divergence d’opinions. Ainsi, moufettes, ratons laveurs ainsi que les rares renards se pointaient en quête de pitance nourricière. Une chatte passait dans toute sa félinité, caressant l’envie des matous à proximité, tandis que les chauves-souris s’en fichaient bien.

À vol de nuit, sur les ailes du temps suave de cette nuit estivale, on pouvait voir que la vie à l’intérieur des maisons vibrait encore pour quelques-uns, comme en témoignaient ces lueurs animées filtrées par les rideaux ornant les fenêtres des quelques habitants de Ste-Lucie. Confiné et isolé, tel se veut la présente et illusoire sécurité de nos foyers, tout comme les leurs d’ailleurs.

La demeure des Lemieux n’était pas différente des autres, pourquoi en serait-il autrement? Dans l’antre de sa chambre, sous la tutelle de la toile et du virtuel, Flavie veillait sous l’éclairage diffus et confus de sa lampe de chevet. Jeune rouquine de 16 ans siégeant sur son lit, habillée de sa camisole jaune clair. La lumière tamisée de sa lampe éclairait peu par rapport à son smartphone qu’elle tenait dans ses mains. Sécurité factice dans l’angoisse de s’en départir, s’en détacher. Le cadran-réveil rétro aux courbes exagérées indiquait que l’heure de dormir était depuis que trop longtemps dépassée. Impuissant, il écoulait le temps sans que l’adolescente lui porte la moindre attention. Inutile malgré sa bonne volonté.

Malgré tout, elle jouait du doigt sur les multiples fonctions des plaisirs que lui procurait son jouet numérique. Les reproches en écho de répétés de sa mère s’étaient également tus sous l’évidence de l’épuisement et du découragement de celle-ci. Lâcher-prise dans la lassitude du déjà vu, déjà mille fois vécu. Elle passait de Facebook, comptabilisait les « like » sur son dernier post avant de passer à twitter tout en effectuant un détour par Instagram qui lui affichaient ses derniers selfies avec ses « bests ». Puis, quelques coups de doigts sur son jeu qui a la cote, un nouveau parmi tant d’autres qui l’avait précédé. Lasse, elle poursuivait tout de même son passe-temps nécrophage, chronophage numérique.

Pourtant, étrangeté dans le phénomène de sa dépendance non avouée, elle était blasée de tout ce cirque virtuel. Bien qu’elle voulait se convaincre qu’il était important de « décrocher », elle poursuivait sa divagation tactile sans conviction aucune, comme si elle s’était engagée dans une voie au mode automatique, vulgaire automate.

Les rideaux de sa chambre volaient doucement sous la brise qui soufflait de son mois de juillet. Ils effleuraient les affiches de ses idoles du moment, ceux-ci avaient pris la place de tant d’autres auparavant. Tout passe si vite se dit-elle en silence… La nuit était là. Bien présente installée, douce et pourtant, elle ne se souvenait même pas d’avoir réellement vu le jour passer. Cirque en continu devant cette perte de temps qu’elle en venait à mépriser, tout en adulant simultanément. Paradoxe dans sa vie. Comme bien d’autres, comme elle d’ailleurs, elle voulait se détacher, mais sans réellement le vouloir.


L’icône rouge d’une pile s’affichant dans le coin supérieur droit de sa gardienne numérique, elle comprit que le temps serait bientôt à la recharge, tant pour elle que son téléphone. Si seulement elle avait apporté avec elle sa prise… Le sommeil gagnant du terrain, les paupières se fermèrent bien malgré elle et la douce caresse de Morphée la mena bien au-delà de sa nuit…