L’heure sur la cuisinière indiquait les 16 h 15.
Un modèle vieille génération qui fonctionnait avec des ronds en serpentin noir.
La marque n’existe plus depuis que le fabricant avait voulu innover dans les
années 80. Une technologie qui n’a vu que le jour, avant de s’éteindre
aussitôt. Celui qu’elle avait datait d’avant la déchéance de la compagnie. Le
type d’appareil où l’on devait y mettre des assiettes d’aluminium sous
l’élément afin de s’éviter le nettoyage éreintant. Elle était jaune pâle et les
boutons étaient tellement usés qu’il était impossible d’en lire les chiffres
jadis inscrits en noir sur un fond gris. Quelques éclats de peinture avaient
cédé trahissant les déménagements ainsi que les aléas de la vie de famille. Elle
l’aimait bien et jamais elle n’avait songé à s’en départir pour ces nouveaux
appareils plus modernes… Elle avait eu sa leçon. D’ailleurs, elle leva
légèrement le couvercle du chaudron en fonte avec sa cuillère en bois. De la
vapeur s’en échappa, embua ses lunettes, mais ses narines en la recueillit sans
trop de perte. Lueur de satisfaction sur son visage. Sourire étroit entre deux
airs soucieux.
Sa famille arriverait bientôt. Elle aimait tant ces
dimanches soirs. Elle les aimait, mais à chaque fois, un stress cohabitait avec
cette joie effervescente. Équilibre entre deux sentis, elle était alors bien et
c’est tout!
Dans une pause bien méritée, elle se permit de s’assoir
quelques instants sur sa chaise berçante. Celle qui était tissée et qui ne
nécessitait aucune mécanique. Non les mécanismes dans les chaises étaient pour
elle, une complication de plus. La simplicité, elle préférait. Intérieurement,
elle savait que c’était parce qu’elle n’y connaissait rien, mais elle s’avisa
bien de ne jamais le mentionner. Son dos la faisait souffrir. Ses longues
heures debout à cuisiner et la douleur qui l’accompagnait étaient le triste
écho de son âge qui gagnait en nombre. Bien malgré elle, surtout en dépit.
Ses yeux, ornés de mille et une rides, chacune d’elle ayant son
histoire s’esclaffait-elle afin de dédramatiser le poids de sa vieillesse.
Vieillir, même en sagesse, c’est quand même vieillir se dit-elle alors qu’elle
massait son visage flétri. Or, ses yeux, elle les ferma, le temps d’un 5
minutes, le temps d’un souffle, le temps qu’il faut, qu’il faudra.
Dans sa tête, elle se voyait toute petite, dans son jadis
éloigné, hors d’horizon, hors d’atteinte et y plonger lui donnait le vertige. Comme
un film en noir et blanc sur un ruban de 8 mm après avoir déversé son
contenu sur le projecteur.
Comme une bulle de savon qui éclate, en écho, en effluve, en
apesanteur, un souvenir s’offrit à elle.
Pluie de fleurs sur mon tapis vert, elle errait, allongée
sur le sol, en vagabond, de nuage en nuage. L’herbe sur laquelle est était
posée, récemment taillée, lui piquait le dos. Le temps est différent quand on n’en
a cure. Le pouvoir de ne pas s’en soucier, le bonheur de ne pas à s’en soucier.
Le luxe de s’en moquer pour mieux le défier.
Installée de la sorte, la vie la parcourait telle une autoroute
sans entrave ni ralentissement. Ses sens se décuplaient de par tout ce qui la
touchait et l’entourait. L’herbe en biseaux taillés stimulait des zones
inimaginables et innombrables. L’air en parfum de verdure la saturait de par sa
proximité avec sa source. Les boutons de lavande l’odoraient de son nectar
subtil et agréable. La rose, décolorée, la framboisait de sa ressemblance en
octave olfactive.
Immolé dans ce souvenir, le 5 minutes prit de l’ampleur et
gagna en importance. Cette fois, le tableau qui s’offrait à elle était bien
différent, hélas…
Les vacances t'ont données quelques inspirations... Veinard !
RépondreSupprimerC'est une autre bulle qui commence! Je ne sais pas encore ce que ça va donner!
SupprimerMathieu,
RépondreSupprimerJ'ai bien aimé l'ambiance qui se dégage de ton texte. On s'identifie à cette vieille dame. Et puis cette fin à inventer !
Guy
Merci cher ami! En passant la porte vous est ouverte si vous voulez vous joindre au blog!
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