dimanche 18 mars 2012

Supposons…


Supposons qu’un homme et une femme vivent à des milliers de kilomètres l’un de l’autre. Supposons qu’ils ne parlent pas la même langue et vivent des vies diamétralement opposées l’une à l’autre. Finalement, supposons que leurs yeux ne se sont jamais croisés. Et pourtant…

L’homme fut le premier des deux à comprendre qu’elle l’attend. Le premier à chercher des indices lui signifiant le grain de sa peau, la couleur de ses yeux, la douceur de sa voix. Cet homme solitaire a une vie simple. Il est patient. Consciencieusement, il économise en vue de retrouver sa belle, tout en cumulant les indications sur l’endroit où il pourra la retrouver. Un jour, il a suffisamment économisé pour prendre l’avion. Il intensifie alors ses recherches. Puis arrive enfin le matin où il prépare son maigre bagage, laisse son chat à sa voisine, verrouille bien sa porte et prend un taxi. La chaleur est intense, les conducteurs sont impatients et l’agitation monte. La route, on ne sait pour quelle raison, refuse d’amener l’homme à l’aéroport…

De son côté, elle s’étourdit dans les bras des hommes. Accompagnant ses nombreuses amies au club, elle cherche son amour. Celui dont le corps épousera parfaitement le sien. Celui qui verra au fond de ses yeux la profondeur de son amour. Celui qui la portera quand son fardeau sera devenu trop lourd. Inlassablement, elle cherche. Jusqu’au matin où, s’éveillant à côté d'un homme dont elle a oublié le nom, elle pressent que celui qui l'aime attend patiemment l’heure de la rejoindre. Dès lors, cette femme s’active à mettre de l’ordre dans sa vie, à nettoyer son corps et son âme. Et s’énerve du temps qui passe trop lentement. Arrive un jour où elle se lève en ignorant pourquoi elle se sent si fébrile. Elle se glisse derrière le volant de sa voiture et prend la direction de l’aéroport où elle doit rejoindre son frère qui rentre enfin au pays. Pendant qu’elle attend ce frère globe-trotter, elle scrute chaque visage, chaque regard…

L’homme sort du taxi et se met à courir. Son cœur devenu impatient s’emballe à l’idée de rater son avion. Il s’engouffre dans l’aéroport et constate avec horreur qu’il ne pourra rejoindre sa belle. Il vient de perdre la seule opportunité que la vie lui avait offerte de la retrouver. De l’intérieur, il regarde son avion prendre de l’altitude et espère que son amour a réussi, lui, à embarquer.

Au beau milieu de la foule, la femme se sent emporter par une vague qui l’amène très haut. Pour la première fois de sa vie elle se sent aimée. Elle a beau regarder tout autour, elle ne remarque personne en particulier. Elle sent pourtant cet amour tout autour d’elle. Elle le porte sur ses épaules comme un châle protecteur. Son frère arrive, la prend dans ses bras et lui dit qu’elle est belle. Elle lui sourit. Elle l’ignore, mais c’est elle qui repart avec le plus beau bagage. Ou plutôt elle s’en doute.

À l’autre bout du monde, l’homme récupère son chat et rentre chez lui. Ce soir-là, il s’endort le sourire aux lèvres, car il a la certitude que le meilleur de lui-même dort maintenant aux côtés de son amour.

5 commentaires:

  1. Spéciale et très intéressant comme histoire! Ça sent l'âme soeur à plein nez mais sans la rencontre physique des deux prédisposés. Bravo Dame Josée!

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  2. Vous avez réussi à me tenir en haleine jusqu'à la fin de cette
    histoire d'amour qui se situe au-delà des corps. Une certaine fatalité.
    Deux êtres qui n'auront pas pu faire en sorte que leurs destins se croisent de façon tangible, mais qui vivent de forts ressentis d'amour. L'amour prend plusieurs formes.
    Merci pour ce beau texte, Josée!

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  3. Merci à vous chère Hélène. J'aime aussi vos textes et vos phrases à 6 mots... Au plaisir de vous lire!

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  4. Je découvre Josée sous une plume attrayante et mystérieuse. Je vais devoir prendre plus de temps pour te lire puisque j'aime déjà ce que tu ponds et ce, même après la lecture de deux seuls textes. Je viens de lire un texte qui a piqué ma curiosité et qui m'a tenu en haleine dès la première phrase jusqu'à la dernière. Merci de me partager ta passion et de me rendre plus amoureux de la lecture.

    Jonathan

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