dimanche 3 avril 2016

Wi-Fi, première partie

La lune en soleil de nuit s’était pointée dans un ciel vierge de mouvement. Inertie des astres, inertie des airs, désert inerte. Le silence l’accompagnait en écho étouffé comme un partenaire soucieux de ne rien froisser…

Un nuage de brise soufflait sur les feuilles qui bruissaient de ces douces chatouilles. Le parfum persistant et agréable des asclépiades tissait ses effluves parmi les chanceux qui s’étaient pointé le nez par les fenêtres ou encore les rares et parsemés veilleurs, rassemblés autour d’un feu extérieur. La nature a cette naïveté qui la rend si charmante, voire humaine.

Les lampadaires répandaient sur le pavé leurs rayons jaunes tandis que les papillons de nuit valsaient dans sa corolle incandescente. On cherche tous la lumière, qu’importe laquelle. Les rues du village s’étaient vidées de ses occupants diurnes. Seule la faune avait repris ses droits sur ses artères goudronnées. Vie parallèle en divergence d’opinions. Ainsi, moufettes, ratons laveurs ainsi que les rares renards se pointaient en quête de pitance nourricière. Une chatte passait dans toute sa félinité, caressant l’envie des matous à proximité, tandis que les chauves-souris s’en fichaient bien.

À vol de nuit, sur les ailes du temps suave de cette nuit estivale, on pouvait voir que la vie à l’intérieur des maisons vibrait encore pour quelques-uns, comme en témoignaient ces lueurs animées filtrées par les rideaux ornant les fenêtres des quelques habitants de Ste-Lucie. Confiné et isolé, tel se veut la présente et illusoire sécurité de nos foyers, tout comme les leurs d’ailleurs.

La demeure des Lemieux n’était pas différente des autres, pourquoi en serait-il autrement? Dans l’antre de sa chambre, sous la tutelle de la toile et du virtuel, Flavie veillait sous l’éclairage diffus et confus de sa lampe de chevet. Jeune rouquine de 16 ans siégeant sur son lit, habillée de sa camisole jaune clair. La lumière tamisée de sa lampe éclairait peu par rapport à son smartphone qu’elle tenait dans ses mains. Sécurité factice dans l’angoisse de s’en départir, s’en détacher. Le cadran-réveil rétro aux courbes exagérées indiquait que l’heure de dormir était depuis que trop longtemps dépassée. Impuissant, il écoulait le temps sans que l’adolescente lui porte la moindre attention. Inutile malgré sa bonne volonté.

Malgré tout, elle jouait du doigt sur les multiples fonctions des plaisirs que lui procurait son jouet numérique. Les reproches en écho de répétés de sa mère s’étaient également tus sous l’évidence de l’épuisement et du découragement de celle-ci. Lâcher-prise dans la lassitude du déjà vu, déjà mille fois vécu. Elle passait de Facebook, comptabilisait les « like » sur son dernier post avant de passer à twitter tout en effectuant un détour par Instagram qui lui affichaient ses derniers selfies avec ses « bests ». Puis, quelques coups de doigts sur son jeu qui a la cote, un nouveau parmi tant d’autres qui l’avait précédé. Lasse, elle poursuivait tout de même son passe-temps nécrophage, chronophage numérique.

Pourtant, étrangeté dans le phénomène de sa dépendance non avouée, elle était blasée de tout ce cirque virtuel. Bien qu’elle voulait se convaincre qu’il était important de « décrocher », elle poursuivait sa divagation tactile sans conviction aucune, comme si elle s’était engagée dans une voie au mode automatique, vulgaire automate.

Les rideaux de sa chambre volaient doucement sous la brise qui soufflait de son mois de juillet. Ils effleuraient les affiches de ses idoles du moment, ceux-ci avaient pris la place de tant d’autres auparavant. Tout passe si vite se dit-elle en silence… La nuit était là. Bien présente installée, douce et pourtant, elle ne se souvenait même pas d’avoir réellement vu le jour passer. Cirque en continu devant cette perte de temps qu’elle en venait à mépriser, tout en adulant simultanément. Paradoxe dans sa vie. Comme bien d’autres, comme elle d’ailleurs, elle voulait se détacher, mais sans réellement le vouloir.


L’icône rouge d’une pile s’affichant dans le coin supérieur droit de sa gardienne numérique, elle comprit que le temps serait bientôt à la recharge, tant pour elle que son téléphone. Si seulement elle avait apporté avec elle sa prise… Le sommeil gagnant du terrain, les paupières se fermèrent bien malgré elle et la douce caresse de Morphée la mena bien au-delà de sa nuit…

4 commentaires:

  1. Une bien triste réalité en vérité. Une adolescente, un quadragénaire et même quelques "vieux" dans le cloître de leur solitude. Nous sommes tous plus ou moins touchés par ce petit monde virtuel qui peut être souriant comme il peut être vorace. Une gangrène virtuelle qui ronge nos cerveaux, une drogue puissante qu'on s'injecte un peu trop facilement dans nos veines. Et pourtant... Qu'est-ce qu'on aime ça parfois ! La désintox reste difficile. Je m'attend à une suite très riche en détails hideux sur nos comportements "connectés". Je m'attend... mais avec toi... Tout peut être si différend (sourire). Un texte, ma foi, bien commencé... Du LaManna quoi ! (Quelques mots que je ne connaissais pas... Fichu culture !). Attention peut-être aux répétitions.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dure réalité que maintenant plusieurs devront conjuguer avec... La suite viendra! Merci!!!

      Supprimer
  2. un beau texte, plein de ressentis et d'évocations sensibles. des formules qui donnent envie de s'évader avec en fond un sujet très actuel. Bravo

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Un texte qui n'aurait pas existé sans l'aide d'une aide généreuse! Merci encore Gente Dame!

      Supprimer