mardi 14 juin 2016

Vendredi soir, partie 2

Dans l'écho de ma nuit, lune de ciel en hochement de tête me fait signe d'avancer. Comment ne pas obéir face à l'autorité de cet astre immaculé. La pluie s'amenuise en gouttelettes parsemées. Elle semble s'essouffler, peut-être a-t-elle fini de pleurer. Moi, jamais je ne pourrai cesser. Mon cœur de pierre saigne de voir la vie se consumer sans que je puisse même effleurer le bonheur de pouvoir vivre un peu. Vie de bohème oubliée dans les décombres de ce que je valorisais dans mon jadis pourtant pas si lointain.  Me plaindre je pourrais, mais accepter j'ai fait.

D'un pas lent et régulier, résigné, je poursuis ma marche. Mes chaussures en toile noire sont à présent humide et l'inconfort qu'elles me donnent gêne ma démarche. Je n'aime pas me sentir incommodé, mais la nuit est ainsi faite. Le feu rouge qui me fait face me force à attendre. Patienter entre deux allers. Bref, brèche en soupir d'une foulée refoulée. Une voiture à ma gauche tourne au ralenti. Les occupants lèvent les yeux vers le gyrophare. Le conducteur semble impatient, car de sa main droite, il pianote le volant de cuir gainé. C'est un homme, probablement fin cinquantaine à voir le pli en vestige et en souvenir de ses années passées. Le temps ne façonne pas uniquement le paysage, il burine aussi le visage des gens qui passent. Cicatrices naturelles en vallons et sillons, elles obligent les porteurs d'afficher leurs vulnérabilités. On peut aisément reconnaître ceux qui ont de ceux qui ont trop pleuré.

La passagère, elle, fixe le néant, égarée dans le siège d'une pensée savoureuse à voir ses yeux briller. Quelques spasmes au niveau du coin de sa bouche me laissent croire que son voyage la fait rêver. Elle sourit dans sa voltige vaporeuse. Puis, sans comprendre, elle revient sur notre monde, notre réalité. Elle fait un tour d'horizon afin de bien saisir le lieu où elle se trouve. C'est alors qu'elle me regarde. Un regard si franc et perçant sous lequel les iris bicolores me transpercent d'impertinence dans mon inviolabilité fragilisée. Je suis toujours mal à l'aise dans ces situations. Comme si cette relation, éphémère certes, était intrusive, mais pourtant dénudée de tout artifice, d'une sincère franchise parce que le temps ne nous permettra pas de la continuer, alors pourquoi se mentir...

Je risque un sourire qui m'est retourné. Cet instant est figé dans le temps. Tout s'arrête et je me sens bien. Flirter avec le bonheur, en goûter le fruit, en sentir la fraîcheur, quitter l'amertume et se sentir léger... comme j'aime voler. Fracas de verre dans ce moment unique, rompu cette sensation qui s'étiole par le vert qui annonce le départ de la Dame au sourire.

Ne reste que le souvenir, et déjà...et déjà... elle s'enfuie

Je traverse le pavé encore humide, le corps amer d'avoir vécu.   L'antre de ma destination se dessine devant moi. Un demi-sous-sol où se massent les gens en quête de d'oubli sous un couvert de musique feutrée et d'alcool bon marché. J'aime cet endroit, il me ressemble, il est moi en quelque sorte. Communion entre deux entités qui se fondent de par la nécessité de s'unir. Symbiose des amants. Je ne suis pas le premier arrivé. D'autres y sont depuis un moment. Eux aussi ont besoin de ce lieu pour vivre encore un peu. Se soulagé du quotidien par la normalisation commune du mal-être. Solidarité entre semblables amenuisent la lourdeur parce que répartie en plusieurs. Un miroir est toujours un reflet, le nôtre, tandis que partager allège et givre d'un baume nos douleurs, le temps d'une soirée, jusqu'à la prochaine.


Je pousse la porte et entre. La musique qui joue se fraie un passage difficile à travers les caisses de son usées par le temps. Tout est à sa place. Encore et tant mieux. 

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