dimanche 12 juin 2016

Vendredi soir, partie 1

Vendredi soir, la lune affiche son sourire en croissant de blanc. Fidèle compagne des âmes en peine, je lui retourne un clin d’œil en guise de salutation. Je m’accoude sur une poubelle, coin de la cinquième avenue et de la rue de l’église. L’air de rien et pourtant l’air est bon. Se glisser sous le voile de la nuit m’a toujours plu, du plus loin que ma mémoire puisse se remémorer. Ce moment, comme un lieu de tranquillité, comme ce lieu de passage, de transition et tellement riche de vie. Je regarde le vide qui m’entoure tout comme celui qui me hante et m’habite, sublime reflet aux allures de mer noire en nappe d’huile. Désert dans une nuit d’ombre et de néant. Bref, le bonheur en contraire de ce qui est. Je ne sais comment m’expliquer cette dualité qui cohabite en parfaite harmonie : bonheur/tristesse formant l’équilibre parfait. Alors que ma rêverie s’estompe sur un bruit d’autre temps, un détail coupe la nuit de son mutisme sélectif

Au même moment, passe une mère et sa fille. Elle marche rapidement, sous la pression d’un retard, j’imagine. Quel drôle d’heure pour être à l’extérieur avec un enfant si jeune! Peut-être une urgence, qui sait? Tout ce que je vois c’est qu’elle double d’ardeur et enjambe les trottoirs avec l’agilité d’une sauteuse de haies aux jeux du Commonwealth. Le tableau est magnifique, quoique…

Je les suis du regard le temps qui m’est donné de les voir. Non qu’ils m’intéressent, simplement que je ne suis pas pressé. Rien ne m’attend sinon que l’impatience de l’imprévue. Je peux ainsi voir les plis sur la jupe rouge de la Dame. Les zébrures sont des éclairs qui lui teintent la cuisse. Ils sont sur le côté droit et forment une fresque visible les jours d’orage. Sa jupe descend tout juste au-dessous des genoux, ce qui ne fait qu’augmenter mon admiration. Je me vois mal réussir ses exploits avec un tel handicap. Que dire de son veston, de couleur assortie, avec des manches trois-quarts. On la croirait tout juste sortir d’une réunion important. D’ailleurs son maquillage, quoiqu’abondant, ne parvient pas à masquer l’angoisse qui la taraude. La petite quant à elle, suit sa mère sans même lever les yeux. Sur son dos un sac surdimensionné. Il doit contenir l’essentiel de l’essentiel, soit peu pour un enfant de cet âge. Le lacet de sa chaussure gauche est dénoué et se balance au gré de ses foulées irrégulières. Elle regarde le sol et suit sans rien dire. Au coin d’une boutique, fermée à cette heure, elle tourne et s’éclipse de mon regard, et déjà je les oublie. Un moment ayant trébuché dans cette soirée encore absente.

La pluie s’invite. Fine et chaude, comme seul l’été peut nous offrir. Je remonte le col de ma veste pour cacher mon cou si fragile. Sans me presser, je me glisse sous l’auvent d’une tabagie qui affiche de ses néons rouges qu’elle est fermée pour la nuit. Tant mieux, je ne me ferai pas chasser. Quelques nuages se massent devant la lune qui continue de sourire. Le vent soulève des papiers jaunes et verts qui dormaient sur le pavé qui se teinte de gouttes de pluie. Rebus dans la nuit, rebut de la nuit, ces feuillets vantent l’ouverture d’une nouvelle boîte de nuit, une autre, une de plus, à deux pas d’ici. J’entends le tramway qui passe dans une rue plus loin. J’image sans effort le wagon à moitié plein avec ces têtes qui ballotent au gré des arrêts fréquents. Les passagers tenant d’une main l’ourlet de cuir au plafond et de l’autre l’écran aux reflets bleus perdant le fil de temps pour rester à la page de quoi… je l’ignore. L’important… c’est d’être branché, à quoi?

Dans le haut de l’immeuble où je me tiens, j’entends un couple se hurler dessus. Des cris et des pleurs entremêlés de bruits de vaisselle qui éclate. Classique, mais pourtant courant, commun et triste malgré tout. Je n’ai jamais compris comment deux individus peuvent s’infliger la cohabitation quand seuls les compromis sont les vecteurs de l’harmonie fragile. Est-ce si difficile de comprendre qu’il ne sert à rien de forcer l’impossible? L’être humain à ceci de gênant qu’il se punit lui-même par peur de prendre le risque de vivre le bonheur. Mais qui suis-je pour les juger, moi qui… moi qui…



2 commentaires:

  1. Wow, j'ai l'impression d'être dans la nuit, sous la pluie, tellement c'est beau....encore wow très ambiance!

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    1. Je ne peux que vous remercier! Heureux que cette première partie vous ait plu!

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