Souper
de retrouvailles dans le silence des années entre deux rencontres,
le groupe échangeait de vils et vagues souvenirs d’un passé que
trop éloigné. Parodies et dérisions chaleureuses au pied de la
bonne humeur pulsaient dans les va-et-vient de ces récits évoqués.
Nostalgies en guise de pain de fortune, les regards souvent rieurs
sautaient d’un visage à un autre. Moi, blotti dans le noir de mes
silences, observait en peine de mots à dire. Sans sujet de
conversation, je n’avais rien à leur dire. Rien à dire à ceux
qui pourtant ont façonné l’être que je suis devenu. Transpirant
la désolation de ma carcasse, fruit d’un vide au jus que trop
extrait, je m’épuisais à tenter d’être avec eux.
Pourtant,
dans le creux d’une discussion, méandre en complémentarité dans
les échanges et les balivernes tamisées se cachaient le malaise.
Malaise nourri par les écarts entre le poids du plaisir et la
distance forgée par l’indifférence de ces rencontres.
Je
ne voyais pas les motifs qui jalonnaient la bonne raison de ces
espaces-temps séparés sur le continuum de nos relations étiolées.
Ivresse d’indifférence, je pouvais sentir le malaise se nouer
entre les membres invités.
Que
sont donc devenues les années révolues où la franche camaraderie
portait honneur à ces rendez-vous hebdomadaires? Qu’est-ce qui se
cache sous cette coupure dans le temps entre retrouvailles et oubli
d’un retour d’appel?
Soupir
dans la clé d’une réponse à retenir comme telle, une image
prenait naissance dans le vide de mon esprit. Le grand forgeron de la
vie s’était joué à nous façonner de belles et grandes
différences, minimes dans l’autre temps, voire négligeable,
maintenant devenue ravin. Réponse en trêve de facilité, je sondais
ces mêmes différences sous le couvert d’un regard nouveau. Ces
dichotomies dans le maintenant ne sont rien d’autre que
l’intolérance de ces mêmes différences.
Personnalités
changeantes ne sont que leurre face à la réalité, le pareil n’est
que bonifié avec le temps et l’absence du lien qui nous
réunissait. Le lien, tel est la clé qui me manquait dans
l’équation d’une soustraction à résoudre.
Sous
la cloche du départ, émergeant de mes songes séculiers, je saluai
mes anciennes relations dans une promesse fallacieuse d’une
prochaine fois. Délire en quête d’image à donner vie sous le
flash de cette révélation, je divaguais serpentant la route de mon
retour. Asile d’un lieu confortable où l’ambition ne naît que
dans la promesse d’un demain meilleur. À l’approche du pont
reliant ma rive à celle des autres, l’évidence me frappa dans
l’éclair d’une lucidité d’évidence.
Ne
pouvant continuer de conduire pour cause d’émergence d’une idée
à développer, je pris place sur la bretelle donnant accès à un
parc inoccupé. Chance dans un ciel d’été encore fumant, la
chaleur ne me fit pas défaut et se couvrit sur mes frêles épaules.
Valse
de mots en concept tournoyaient dans ma tête accablée. Pont,
Malaise, Liens, Rive,
Temps et Différences. Ils se tenaient
tous par la main et quête de partenaires de sens à donner. Je vis
le Pont se lier à la Rive de
mes Liens tandis que le Malaise des
Différences grandissait
dans le Temps.
Images en proie de naître, je forçai la
main à cette danse. Approfondissant la réflexion, le concept de ma
compréhension se présentait à mes yeux apeurés par ce constat.
Les rives qui nous sont propres
représentent l’intériorité de ce que nous sommes. Terre de notre
fertile personnalité. Continent de notre individualité, essence
d’un soi propre à chacun. Tel un mouvement tectonique nous nous
mouvons au gré du changement, balai des aléas de notre vie rythmée
par nos choix et contrefort d’absence de choix.
Sous
l’égide du besoin de ne pas être seul, contrainte d’un
fondement social, l’être humain ne peut vivre isolé. Vient
alors la création de liens vers la rive de nos semblables, cohésions
d’appartenances sous la coiffe d’une ressemblance et d’espoir
commun. Lien en forme de pont
naissant sous l’apparence d’une fine union en guise de
construction, nous la
fortifions au gré de nos allées-venues. De simple corde à nœuds,
la relation se meut vers la solidité d’un engagement commun en
forme de pont
d’esprit. Communion entre deux façons d’être, les différences
s’amenuisent au fil des visites partagées. Elles
prennent davantage la forme d’une contribution au cœur même de
ces différences, elles se mutent
en outil d’émerveillement et de changement dans la rive de celui
qui a ouvert sa porte à l’accueil. Bref,
les terres
et territoires
se
bonifient
par les contributions mutuelles de nos échanges.
Le yo-yo incessant des voitures sur les
rives m’hypnotise totalement. Nausée dans la circulation, le temps
passe tout comme ces voyageurs. L’heure avancée néglige le nombre
de passants désormais. Le trafic se modifie sous la forme de la
rareté.
Rareté,
rareté d’échange, espace espacé entre les traversées. Le
phénomène éclaire la suite de ma pensée solitaire. La rareté des
échanges... L’effritement des relations, l’écart grandissant
entre les fréquences, le retour des différences dérangeantes, la
rupture du lien. Tout comme le pont qui ne se fait pas entretenir,
les relations s’étiolent dans l’abandon de leur mise en retrait.
De la solidité des liens
surgit la fragilité. Puis,
dans l’ultime de ce qui peut advenir l’effondrement, la rupture,
la fin...
Tristesse dans l’évidence de ce qui
m’apparaît sous les yeux, je me désole de voir que tout est
fragilité sans réciprocité, sans l’apport d’échange. Bref,
rien n’est acquis...
Puis, venus d’une autre rive, des nœuds
se forment lentement. Transition dans l’utilité de la relation, de
nouveaux liens se tissent dans l’attente de savoir si on les
nourrit ou si on les laisse mourir comme les précédents.
Ainsi va la vie. Tout change, selon nos
croyances, valeurs, l’importance et
le temps qu’on leur donne et accorde. À vouloir tout maintenir, on
finit par se perdre voire se pendre avec tous ces liens autour du
cou. Est-ce ça, la sélection naturelle?
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