lundi 6 janvier 2014

L'écart...

Souper de retrouvailles dans le silence des années entre deux rencontres, le groupe échangeait de vils et vagues souvenirs d’un passé que trop éloigné. Parodies et dérisions chaleureuses au pied de la bonne humeur pulsaient dans les va-et-vient de ces récits évoqués. Nostalgies en guise de pain de fortune, les regards souvent rieurs sautaient d’un visage à un autre. Moi, blotti dans le noir de mes silences, observait en peine de mots à dire. Sans sujet de conversation, je n’avais rien à leur dire. Rien à dire à ceux qui pourtant ont façonné l’être que je suis devenu. Transpirant la désolation de ma carcasse, fruit d’un vide au jus que trop extrait, je m’épuisais à tenter d’être avec eux.

Pourtant, dans le creux d’une discussion, méandre en complémentarité dans les échanges et les balivernes tamisées se cachaient le malaise. Malaise nourri par les écarts entre le poids du plaisir et la distance forgée par l’indifférence de ces rencontres.

Je ne voyais pas les motifs qui jalonnaient la bonne raison de ces espaces-temps séparés sur le continuum de nos relations étiolées. Ivresse d’indifférence, je pouvais sentir le malaise se nouer entre les membres invités.

Que sont donc devenues les années révolues où la franche camaraderie portait honneur à ces rendez-vous hebdomadaires? Qu’est-ce qui se cache sous cette coupure dans le temps entre retrouvailles et oubli d’un retour d’appel?

Soupir dans la clé d’une réponse à retenir comme telle, une image prenait naissance dans le vide de mon esprit. Le grand forgeron de la vie s’était joué à nous façonner de belles et grandes différences, minimes dans l’autre temps, voire négligeable, maintenant devenue ravin. Réponse en trêve de facilité, je sondais ces mêmes différences sous le couvert d’un regard nouveau. Ces dichotomies dans le maintenant ne sont rien d’autre que l’intolérance de ces mêmes différences.

Personnalités changeantes ne sont que leurre face à la réalité, le pareil n’est que bonifié avec le temps et l’absence du lien qui nous réunissait. Le lien, tel est la clé qui me manquait dans l’équation d’une soustraction à résoudre.

Sous la cloche du départ, émergeant de mes songes séculiers, je saluai mes anciennes relations dans une promesse fallacieuse d’une prochaine fois. Délire en quête d’image à donner vie sous le flash de cette révélation, je divaguais serpentant la route de mon retour. Asile d’un lieu confortable où l’ambition ne naît que dans la promesse d’un demain meilleur. À l’approche du pont reliant ma rive à celle des autres, l’évidence me frappa dans l’éclair d’une lucidité d’évidence.

Ne pouvant continuer de conduire pour cause d’émergence d’une idée à développer, je pris place sur la bretelle donnant accès à un parc inoccupé. Chance dans un ciel d’été encore fumant, la chaleur ne me fit pas défaut et se couvrit sur mes frêles épaules.

Valse de mots en concept tournoyaient dans ma tête accablée. Pont, Malaise, Liens, Rive, Temps et Différences. Ils se tenaient tous par la main et quête de partenaires de sens à donner. Je vis le Pont se lier à la Rive de mes Liens tandis que le Malaise des Différences grandissait dans le Temps.

Images en proie de naître, je forçai la main à cette danse. Approfondissant la réflexion, le concept de ma compréhension se présentait à mes yeux apeurés par ce constat.

Les rives qui nous sont propres représentent l’intériorité de ce que nous sommes. Terre de notre fertile personnalité. Continent de notre individualité, essence d’un soi propre à chacun. Tel un mouvement tectonique nous nous mouvons au gré du changement, balai des aléas de notre vie rythmée par nos choix et contrefort d’absence de choix.

Sous l’égide du besoin de ne pas être seul, contrainte d’un fondement social, l’être humain ne peut vivre isolé. Vient alors la création de liens vers la rive de nos semblables, cohésions d’appartenances sous la coiffe d’une ressemblance et d’espoir commun. Lien en forme de pont naissant sous l’apparence d’une fine union en guise de construction, nous la fortifions au gré de nos allées-venues. De simple corde à nœuds, la relation se meut vers la solidité d’un engagement commun en forme de pont d’esprit. Communion entre deux façons d’être, les différences s’amenuisent au fil des visites partagées. Elles prennent davantage la forme d’une contribution au cœur même de ces différences, elles se mutent en outil d’émerveillement et de changement dans la rive de celui qui a ouvert sa porte à l’accueil. Bref, les terres et territoires se bonifient par les contributions mutuelles de nos échanges.
Le yo-yo incessant des voitures sur les rives m’hypnotise totalement. Nausée dans la circulation, le temps passe tout comme ces voyageurs. L’heure avancée néglige le nombre de passants désormais. Le trafic se modifie sous la forme de la rareté.

Rareté, rareté d’échange, espace espacé entre les traversées. Le phénomène éclaire la suite de ma pensée solitaire. La rareté des échanges... L’effritement des relations, l’écart grandissant entre les fréquences, le retour des différences dérangeantes, la rupture du lien. Tout comme le pont qui ne se fait pas entretenir, les relations s’étiolent dans l’abandon de leur mise en retrait. De la solidité des liens surgit la fragilité. Puis, dans l’ultime de ce qui peut advenir l’effondrement, la rupture, la fin...

Tristesse dans l’évidence de ce qui m’apparaît sous les yeux, je me désole de voir que tout est fragilité sans réciprocité, sans l’apport d’échange. Bref, rien n’est acquis...

Puis, venus d’une autre rive, des nœuds se forment lentement. Transition dans l’utilité de la relation, de nouveaux liens se tissent dans l’attente de savoir si on les nourrit ou si on les laisse mourir comme les précédents.


Ainsi va la vie. Tout change, selon nos croyances, valeurs, l’importance et le temps qu’on leur donne et accorde. À vouloir tout maintenir, on finit par se perdre voire se pendre avec tous ces liens autour du cou. Est-ce ça, la sélection naturelle?

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