Le ciel descendait, il
était beau, il était bleu, il était sur le point de mourir. Sursis dans sa
lumière qu’il affichait le long des silos, l’orangé teintait le gris habituel
de ces gratte-ciel version campagne. Un nuage d’oiseaux, noirs et blancs s’adonnait
à la danse nocturne de ceux pour qui le jour se termine. Décan d’une journée
bien remplie. L’automne sonnait déjà à la porte de ce mois d’août, il sonnait
trop tôt, il sonnait trop tard. Il était et nul n’en avait le contrôle, il
était et c’est ainsi qu’il est.
Le souffle du vent aussi
s’habillait de cette saison, il s’abaissait de quelques degrés obligeant l’homme
qui observe ce spectacle de se vêtir d’un par-dessus de laine grise et blanche. Seconde peau qui
depuis longtemps s’usait à cette tâche annuelle. Couvrir les frêles épaules de
celui qui observe le temps qui coule si vite. Trop vite, pensa-t-il pour
lui-même.
La rosée, en fines
particules d’eau, recouvrait à présent, sous le couchant du soleil qui serait
bientôt le point d’horizon, les champs d’herbes fraîchement coupées. Demain, il
fera beau, se dit-il sans conviction. Il se frotta les mains pour les
réchauffer, car il ne peut, ni ne veux entrer. Profiter encore un peu de cette
soirée, de cet air, de cette vision, de ce qui est et fut sa vie. Une routine imposée
par le temps qui passe. Métronome en guillemets sur un continuum d’obligations.
La vie de fermier était une vocation que seuls ceux qui y œuvrent peuvent
comprendre. Eux seuls. Et la nature bien sûr!
Le soleil se couchait et
lui il savait que demain serait encore un jour comme le précédent. Un travail
de tous les jours qui s’ornent du couvre-chef de l’autarcie voie de l’autonome
au prix de durs labeurs.
Le chant orchestré des
grillons combla le vide laissé par celui des oiseaux. Il aimait ce moment, il
aimait ce son, malgré le monocorde qu’il était, il l’aimait et c’est ainsi. Une
voiture passa devant sa ferme et lui, continuait de se bercer par de lents
mouvements, lents, mais continus, lents, mais réguliers. En parfaite harmonie
avec ce qui vibrait en lui. Le calme, la paix et la joie d’être vivant et
voyant. Voyant, car, lui, il voit la vie et le temps qui passe. Voyant, car,
lui, il sentait la vie dans ses veines, dans son corps, dans son cœur.
Une seconde voiture était
en voie de passer devant chez lui, chez cet homme qui vivait et qui souriait.
Les phares allumés pour voir dans cette noirceur grandissant, la voiture
roulait à vive allure, trop vite à son goût, comme toujours d’ailleurs. Il n’aimait
pas ces gens qui passaient vite, il ne comprenait pas que l’on puisse mordre à
l’appât de cette ironie du sort, soit de vivre rapidement pour que tout aille
plus vite, sans que l’on puisse le voir, le toucher, le vivre. Il les haïssait
et les plaignait à la fois.
Les phares se firent plus
gros, parce que plus près de chez lui. Plus près de chez l’homme, qui est et
qui vit? L’homme vivant qui plaint celui qui conduit si vite. Il les plaint,
car il savait que les occupants de cette voiture n’ont pas la chance de vivre
comme lui, comme le temps lui permet, comme le temps qui s’écoule au rythme des
saisons.
C’était samedi et pour
lui demain n’était que dimanche. C’était samedi et c’était bien ainsi. C’était
samedi et la nuit dormirait avec lui.
La voiture passa et rien
de ce que l’homme pensait n’effleura l’esprit du conducteur et de ces
occupants. La voiture passa et déjà elle n’était plus. Elle était déjà passée,
à demi oubliée... comme le reste.
Le ciel était noir à
présent et l’air s’était chargé de ce parfum si cher à cet homme. Le ciel était
noir et la nuit serait belle, car il irait dormir sous peu.
Des pas sur le seuil de
porte en annonçaient d’ailleurs l’heure de s’y mettre. Sa femme, bienveillante,
le rejoignit et s’installa à ses côtés. Le silence qui habitait ce moment était
plus fort en mots que tout autre dialogue. Ce silence qui parlait plus fort,
plus vrai que tout autre mot était leur moment à eux. Amoureux, il la regardait
de sa douceur habituelle. Elle aussi avait revêtu son châle du moment. Noir et
brodé par ses mains habiles et minutieuses. Un léger nuage de vapeur s’échappa
de leur bouche indiquant l’air du temps.
Encore quelques instants
lui dit-il. Elle acquiesça sans sourciller, elle aussi aimait ce moment de
tranquillité. Ce moment que seuls les amoureux connaissent. Ils s’aimaient
depuis tant d’années que les chiffres étaient inutiles. Leur bonheur à eux
était simple et complet. Vivre et vivre simplement.
La lune pointait son
blanc immaculé sur le tapis noir orné d’étoiles. Elle brillait et teintait d’un
halo blanc clair le couple sexagénaire de sa bienveillance. Le vent s’était
endormi et les grillons chantaient maintenant avec le croassement des
grenouilles de l’étang. La vie s’écoulait en un ballet précis soit à son propre
rythme. D’un commun accord, les deux êtres se levèrent de concert pour entrer
et se préparer pour la nuit et le sommeil.
Deux points blancs
pointèrent le ruban sinueux sur le noir du pavé asphalté. Le vieux fermier
regarda cette vision en pestant contre la vitesse. Le son qu’émanait de cette voiture
couvrait tout le reste. Pourquoi diable le monde veut-il à ce point détruire l’ambiant?
Reprenant leur progression, il ouvrit la porte et la garda ouverte pour que sa
douce puisse entrer. Comme à chaque soir où ils sont les deux ensembles à
sourire à la nuit. Cependant, ce soir, la voiture qui ruminait dans la nuit
venait de brusquer l’harmonie qu’ils aimaient tant. Un dernier regard à cette
vitesse et l’homme entra sans mot dire autre qu’un non de la tête.
La voiture passa son
chemin et la nuit aussi. Pourtant, une âme ne verrait pas le jour. Celle qui
mourut encastrée dans la Mustang 2011 noire. L’âme de l’homme qui avait
voulu vivre que trop vite... mourut tout aussi rapidement qu’il avait cru
vivre, soit jamais.
Au réveil du couple de la
vie, les nouvelles hurlaient de ce drame en jetant le blâme sur la route et ses
dangers... Au fond de lui-même, il savait... il savait que l’on se cherche
toujours des excuses pour renoncer à nos droits, à nos obligations, à notre
vie... Puis, dans un rictus incontrôlé par l’homme écoutant les nouvelles, une
perle noire glissa le long de sa joue, noir de son chagrin de voir que tout se
perd, même le temps...
J aime particulièrement la fin.. On cherche toujours des excuses pour renoncer à nos droits etc. Merci de cette réflexion.Tellement vrai!! :)
RépondreSupprimerMerci Gente Dame! On se préoccupe toujours du plus tard, malheureusement ;(
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