mardi 1 septembre 2015

La mort en embuscade


Suis-je réellement, en cet instant, l’unique narrateur d’un chapitre  de ma vie? Du bout des doigts, je tambourine les mots qui se maquillent de liberté.  Mon parcours, très incolore lorsque je le compare, est cruellement intense dans ma profondeur et dans ma sensibilité.

Cadette d’une famille de quatre enfants, j’ai  compris très tôt la bienveillance et l’empathie. Ma grande sœur, éclot  un hiver avant moi,  presque jumelle de chair, avait l’apprentissage en difficulté. Moi, j’avais  la facilité. Les années primaires au bout des doigts, je montais mes classes à grandes enjambées. Ma frangine, plus discrète, tirait ses leçons dans des  groupes adaptés. Déjà, à sept bougies, je camouflais  mes aptitudes pour protéger  son amour-propre. Cercle vicieux d’une petite sœur qui surprotège et qui grandit en offrant sa place aux autres aussi.

 Un discours d’interdiction s’était enraciné dans mon inconscient :

  • Tu ne peux pas être meilleure qu’un autre, tu blesseras sa personnalité
  • Soit juste assez  bonne, mais ne le laisse pas paraître

L’unique talent que je me permettais était celui de la gentillesse. J’avais en auréole le foulard de Mère Theresa, les couilles de superman pour  protéger les oubliés et la naïveté du Chaperon rouge, la tête à deux pouces des canines d’un loup déguisé, d’un simple chapeau en dentelle tricoté. Gagnante du trophée de l’Humanité au bal des finissants, je portais bien le costume du cœur sur la main.

Mais  à l’aube  de ma vingtaine, les désillusions commencèrent à s’installer. Le cégep, moment décisionnel d’un gagne-pain futur, m’enrôla aveuglément  dans les sciences humaines pour suivre le troupeau. Une crise identitaire, un peu tardive, justifia à mes parents un ton accusateur envers ma personnalité et motiva mon envol en appartement. Et ce fameux prince charmant, pectoraux d’orgueil sur un canasson en rut, n’avait laissé comme seul empreinte sur notre amour imaginaire, que des feux sauvages et une fusillade de sperme qui avait terni ma robe blanche et voilé ma valeur.  

Vingt et un ans, le regard pour moi-même toujours vers l’extérieur, un  travail à temps plein dans un restaurant, une inaptitude à comprendre ce que la vie attendait de moi et un regard parental qui doute, fit exploser les crises d’angoisses. Étau clôturant  ma gorge de fumeuse, soubresauts anarchiques de mes membres, cœur en cavale : le cauchemar d’une mort imminente. La détresse d’une vie en sourdine avait finalement piétiné ma vitalité. Image d’une vendange bafouée ou l’espérance d’un grand cru avait finalement embouteillé une Diarrhée.

Je cognais la vie à grande lichette d’alcool et de soirées sans souvenirs afin d’évanouir ces incompréhensions d’une logique qui manquait à l’appel. J’avais  l’ardeur du mépris collée au sternum et qui coulait sur mon cœur. Je noyais  l’angoisse pour la faire taire mais il m’a fallu beaucoup de  temps avant de comprendre qu’elle s’animait  dans l’ivresse. Le rire autrefois comme une seconde peau, s’enfargeait dans des idées sombres.

Je me suis fractionnée. Coupée du monde à chacune de ces crises de paniques. Prisonnière des salles de bain publiques, ces refuges m’ont reconnectée avec mon essence à grand coup d’essoufflement et de retour au calme. Assise, en petite boule, le visage effleurant  la fraicheur d’un bol de toilette, j’ai appris à tourner mon regard  vers mon importance. Je n’aurais  jamais pensé qu’avoir la tête si proche des déjections pouvait insuffler un élan libérateur de mes propres besoins.

Période noire et de serrements de cœur, je quémandais  en silence  l’amour mèreconditionnel. Il ne se présenta pas. Je coulais la honte sur son sein.

La fuite  géographique s’invita. Cette fausse liberté accrochée à  mon sac à dos avait trouvé écho pour calmer mes paniques. Je ne savais pas encore prendre position dans mon identité mais je n’avais plus ce fardeau de plaire ou au mieux celui de déplaire. Le silence chuchotait des instants sereins.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours crayonné mon âme sur le papier. Gamine, j’inventais des histoires de princesse pour le bonheur de mon petit cœur de Cendrillon. À l’adolescence, les premiers poèmes maladroits et les lettres d’amours griffonnées durant des cours inintéressants. La vingtaine a fait éclore les malaises mais aussi cet appel criant d’écrire. L’arbre dénudé façonné en pâte à papier m’a aidé à progresser de maux en mots de fois en Foi.

 Des dizaines de petits cahiers vierges achetés à  rabais, m’inspirèrent des millions de  possibilités d’exister. Ma souffrance émotive avait trouvé une hospitalité sincère à l’épaule d’une marge sans limite et sous une couverture protectrice.

Dans mon sac à dos de la liberté s’y  trouvaient des sous-vêtements et une brosse à dent, deux t-shirts et un legging, un porte-monnaie sans le sous et des recueils de pensées.

Extrait d’un recueil de  1999 :

Délivrez ma princesse

De sa tour d’angoisse

De la soumission de ses murs

Du jugement de son miroir

 

Elle se mutile elle –même

Oubliant d’exister

Oubliant de ne pas que regarder

Les mendiants de la pitié

 

Extrait d’un recueil  2001 :

De petits mots

Simplement petits

De gentillesse  S.V.P

Pour mon égo si sensible

 

De l’Ouest Canadien  à la Californie, de Baie Comeau à la Floride, sinueux carrefours giratoires porteurs d’expériences.  Ne pouvant  pas  fuir plus longtemps mes apprentissages sur cette Terre,  j’ai  senti la peur revenir au galop.  Longeant les murs pour me surprendre d’une jambette ou d’un étourdissement, l’angoisse était revenue. Je me suis battue. Affronté sans relâche ce sentiment de devenir folle et cette frayeur de mourir. Image d’une camisole de force transformé en zombie qui tente de kidnappé ma tête.

Combat ultime de pensées qui s’entrechoquent : 

Ça va Bien! Respire! Je vais mourir! Non, tout va bien! Calme- toi. Je peux plus  respirer, je vais m’évanouir. NON, tu n’as rien. Ma vision s’embrouille, je ne veux pas  mourir dans une épicerie! Ferme tes yeux, écoute ta respiration! Mon cœur bat trop vite, je vais  faire une crise cardiaque!

Respire!       Chut!     Respire!     Chut!     Respire!    Chut!     Respire!     Chut!

Quinze années à tenter de maitriser ces malaises en les flattant de paroles sécurisantes. Cette peur de m’éteindre était enracinée dans mes tripes depuis toujours. M’a-t-elle persécuté ainsi toutes ces années pour me guider vers des morceaux d’éveils? J’ose sincèrement y croire.

Il y a trois ans, la mort n’est pas que venue chatouiller mes angoisses. Elle a muselé mes mots qui lui étaient destinés. À la pénombre d’un jour de mai, Daniel a repris sa liberté emprisonné dans une tumeur au cerveau. Mon frère, ce guerrier pacifique a bravé l’impossible pour exister. Déchirures incompréhensibles, j’étais incapable de lui écrire mon amour. Mes paroles étaient trop simples, le poids de ma douleur ne trouvait pas les larmes appropriées.

Mes recueils s’ouvraient et se refermaient  sur des pages blanches immaculées comme la lumière du paradis. Mon crayon se déguisait en efface, il n’avait pas la justesse des émotions afin de lui exprimer ce vide qu’il avait laissé.

Et moi, comment avais-je pu vivre tous ces printemps avec cette crainte de périr, alors que j’avais toujours eu la santé plein les poches?

Le dernier repos ne s’invente pas, il n’est pas un mirage, ni un jeu de l’esprit. Il est authentique, déchirant et meurtrier. 

Aujourd’hui, la mort ne m’angoisse plus. Elle a pris racine beaucoup plus profondément dans mes entrailles. Elle m’a condamné à exister. Je ne peux offrir meilleur hommage à mon frère, que d’acclamer la vie à grande intensité dans l’amour, la compassion et le respect, malgré les incertitudes et les épreuves. Image d’un cœur qui bat et qui pleure, qui pleure et qui bâtit.

4 commentaires:

  1. Touchant et senti, vos mots sont d'une sensibilité vibrante et palpable. Merci pour ce beau témoignage, sincèrement!

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  2. Beaucoup d'émotions dans vos mots (et dans vos maux)... Vous avez su me transmettre une certaine sensation qui me picore encore la peau des bras... Merci à notre hôte pour ce sensible partage.

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  3. Merci a vous deux!! beaucoup d'émotions à écrire ce texte mais combien libérateur et révélateur. Il contribue à embellir ma route de vie, ce chemin de réflexion. Au Plaisir Catherine et Mathieu :)

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  4. Chère Carole,
    Je me suis fait le cadeau de vous lire...
    Et je ressens bien que ce ne sera pas la dernière fois...
    Vos mots sont authentiques de Beauté et vous possédez un grand talent
    d'écriture. Surtout, n'abandonnez jamais l'écriture pour notre plus grand bien et le vôtre assurément. Une thérapie non pas sur un divan.... mais sur l'écran! Chapeau bien bas! À une très prochaine fois!

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