Suis-je réellement, en cet instant, l’unique narrateur
d’un chapitre de ma vie? Du bout des
doigts, je tambourine les mots qui se maquillent de liberté. Mon parcours, très incolore lorsque je le
compare, est cruellement intense dans ma profondeur et dans ma sensibilité.
Cadette d’une famille de quatre enfants, j’ai compris très tôt la bienveillance et
l’empathie. Ma grande sœur, éclot un
hiver avant moi, presque jumelle de
chair, avait l’apprentissage en difficulté. Moi, j’avais la facilité. Les années primaires au bout des
doigts, je montais mes classes à grandes enjambées. Ma frangine, plus discrète,
tirait ses leçons dans des groupes adaptés.
Déjà, à sept bougies, je camouflais mes aptitudes
pour protéger son amour-propre. Cercle
vicieux d’une petite sœur qui surprotège et qui grandit en offrant sa place aux
autres aussi.
Un discours
d’interdiction s’était enraciné dans mon inconscient :
- Tu ne peux pas être meilleure qu’un autre, tu blesseras sa personnalité
- Soit juste assez bonne, mais ne le laisse pas paraître
L’unique talent que je me permettais était celui de la
gentillesse. J’avais en auréole le foulard de Mère Theresa, les couilles de
superman pour protéger les oubliés et la
naïveté du Chaperon rouge, la tête à deux pouces des canines d’un loup déguisé,
d’un simple chapeau en dentelle tricoté. Gagnante du trophée de l’Humanité au
bal des finissants, je portais bien le costume du cœur sur la main.
Mais à l’aube de ma vingtaine, les désillusions commencèrent
à s’installer. Le cégep, moment décisionnel d’un gagne-pain futur, m’enrôla
aveuglément dans les sciences humaines
pour suivre le troupeau. Une crise identitaire, un peu tardive, justifia à mes
parents un ton accusateur envers ma personnalité et motiva mon envol en
appartement. Et ce fameux prince charmant, pectoraux d’orgueil sur un canasson en
rut, n’avait laissé comme seul empreinte sur notre amour imaginaire, que des
feux sauvages et une fusillade de sperme qui avait terni ma robe blanche et
voilé ma valeur.
Vingt et un ans, le regard pour moi-même toujours vers
l’extérieur, un travail à temps plein
dans un restaurant, une inaptitude à comprendre ce que la vie attendait de moi
et un regard parental qui doute, fit exploser les crises d’angoisses. Étau
clôturant ma gorge de fumeuse,
soubresauts anarchiques de mes membres, cœur en cavale : le cauchemar
d’une mort imminente. La détresse d’une vie en sourdine avait finalement
piétiné ma vitalité. Image d’une vendange bafouée ou l’espérance d’un grand cru
avait finalement embouteillé une Diarrhée.
Je cognais la vie à grande lichette d’alcool et de
soirées sans souvenirs afin d’évanouir ces incompréhensions d’une logique qui
manquait à l’appel. J’avais l’ardeur du
mépris collée au sternum et qui coulait sur mon cœur. Je noyais l’angoisse pour la faire taire mais il m’a
fallu beaucoup de temps avant de
comprendre qu’elle s’animait dans
l’ivresse. Le rire autrefois comme une seconde peau, s’enfargeait dans des
idées sombres.
Je me suis fractionnée. Coupée du monde à chacune de
ces crises de paniques. Prisonnière des salles de bain publiques, ces refuges
m’ont reconnectée avec mon essence à grand coup d’essoufflement et de retour au
calme. Assise, en petite boule, le visage effleurant la fraicheur d’un bol de toilette, j’ai
appris à tourner mon regard vers mon
importance. Je n’aurais jamais pensé
qu’avoir la tête si proche des déjections pouvait insuffler un élan libérateur
de mes propres besoins.
Période noire et de serrements de cœur, je quémandais en silence l’amour mèreconditionnel. Il ne se présenta
pas. Je coulais la honte sur son sein.
La fuite
géographique s’invita. Cette fausse liberté accrochée à mon sac à dos avait trouvé écho pour calmer
mes paniques. Je ne savais pas encore prendre position dans mon identité mais je
n’avais plus ce fardeau de plaire ou au mieux celui de déplaire. Le silence chuchotait
des instants sereins.
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours crayonné
mon âme sur le papier. Gamine, j’inventais des histoires de princesse pour le
bonheur de mon petit cœur de Cendrillon. À l’adolescence, les premiers poèmes
maladroits et les lettres d’amours griffonnées durant des cours inintéressants.
La vingtaine a fait éclore les malaises mais aussi cet appel criant d’écrire.
L’arbre dénudé façonné en pâte à papier m’a aidé à progresser de maux en mots
de fois en Foi.
Des dizaines de
petits cahiers vierges achetés à rabais,
m’inspirèrent des millions de possibilités
d’exister. Ma souffrance émotive avait trouvé une hospitalité sincère à
l’épaule d’une marge sans limite et sous une couverture protectrice.
Dans mon sac à dos de la liberté s’y trouvaient des sous-vêtements et une brosse à
dent, deux t-shirts et un legging, un porte-monnaie sans le sous et des
recueils de pensées.
Extrait
d’un recueil de 1999 :
Délivrez ma princesse
De sa tour d’angoisse
De la soumission de ses murs
Du jugement de son miroir
Elle se mutile elle –même
Oubliant d’exister
Oubliant de ne pas que regarder
Les mendiants de la pitié
Extrait
d’un recueil 2001 :
De petits mots
Simplement petits
De gentillesse S.V.P
Pour mon égo si sensible
De l’Ouest Canadien à la Californie, de Baie Comeau à la Floride,
sinueux carrefours giratoires porteurs d’expériences. Ne pouvant pas fuir
plus longtemps mes apprentissages sur cette Terre, j’ai senti la peur revenir au galop. Longeant les murs pour me surprendre d’une
jambette ou d’un étourdissement, l’angoisse était revenue. Je me suis battue. Affronté
sans relâche ce sentiment de devenir folle et cette frayeur de mourir. Image
d’une camisole de force transformé en zombie qui tente de kidnappé ma tête.
Combat ultime de pensées qui
s’entrechoquent :
Ça va Bien! Respire! Je vais mourir! Non, tout
va bien! Calme- toi. Je peux plus respirer, je vais m’évanouir. NON, tu n’as
rien. Ma vision s’embrouille, je ne veux pas
mourir dans une épicerie! Ferme tes yeux, écoute ta respiration! Mon
cœur bat trop vite, je vais faire une
crise cardiaque!
Respire! Chut!
Respire! Chut! Respire!
Chut! Respire! Chut!
Quinze années à tenter de maitriser ces
malaises en les flattant de paroles sécurisantes. Cette peur de m’éteindre était
enracinée dans mes tripes depuis toujours. M’a-t-elle persécuté ainsi toutes
ces années pour me guider vers des morceaux d’éveils? J’ose sincèrement y
croire.
Il y a trois ans, la mort n’est pas que
venue chatouiller mes angoisses. Elle a muselé mes mots qui lui étaient destinés.
À la pénombre d’un jour de mai, Daniel a repris sa liberté emprisonné dans une
tumeur au cerveau. Mon frère, ce guerrier pacifique a bravé l’impossible pour
exister. Déchirures incompréhensibles, j’étais incapable de lui écrire mon
amour. Mes paroles étaient trop simples, le poids de ma douleur ne trouvait pas
les larmes appropriées.
Mes recueils s’ouvraient et se refermaient sur des pages blanches immaculées comme la
lumière du paradis. Mon crayon se déguisait en efface, il n’avait pas la
justesse des émotions afin de lui exprimer ce vide qu’il avait laissé.
Et moi, comment avais-je pu vivre tous ces
printemps avec cette crainte de périr, alors que j’avais toujours eu la santé plein
les poches?
Le dernier repos ne s’invente pas, il
n’est pas un mirage, ni un jeu de l’esprit. Il est authentique, déchirant et
meurtrier.
Aujourd’hui, la mort ne m’angoisse plus. Elle
a pris racine beaucoup plus profondément dans mes entrailles. Elle m’a condamné
à exister. Je ne peux offrir meilleur hommage à mon frère, que d’acclamer la
vie à grande intensité dans l’amour, la compassion et le respect, malgré les
incertitudes et les épreuves. Image d’un cœur qui bat et qui pleure, qui pleure
et qui bâtit.
Touchant et senti, vos mots sont d'une sensibilité vibrante et palpable. Merci pour ce beau témoignage, sincèrement!
RépondreSupprimerBeaucoup d'émotions dans vos mots (et dans vos maux)... Vous avez su me transmettre une certaine sensation qui me picore encore la peau des bras... Merci à notre hôte pour ce sensible partage.
RépondreSupprimerMerci a vous deux!! beaucoup d'émotions à écrire ce texte mais combien libérateur et révélateur. Il contribue à embellir ma route de vie, ce chemin de réflexion. Au Plaisir Catherine et Mathieu :)
RépondreSupprimerChère Carole,
RépondreSupprimerJe me suis fait le cadeau de vous lire...
Et je ressens bien que ce ne sera pas la dernière fois...
Vos mots sont authentiques de Beauté et vous possédez un grand talent
d'écriture. Surtout, n'abandonnez jamais l'écriture pour notre plus grand bien et le vôtre assurément. Une thérapie non pas sur un divan.... mais sur l'écran! Chapeau bien bas! À une très prochaine fois!