Elle
me quitte dans son élan de bon sens. Peu de mots sous la coupe d’une
rupture suffisent à éteindre l’étincelle de mon regard. Mes
pleurs en pourboire pour le garçon patientant, facture en main dans
l’étrier en noir livret. Signer de ma plume l’autorisation de me
prélever la dot de mon célibat tout neuf. Pécule insignifiant à
la monnaie souriante dans la paume du précepteur de service fait
retourner à la cuisine le majordome satisfait.
Mes
pas se meuvent dans les trottoirs. Direction en dérapage d’une
rose des vents obsolète, je ne peux croire à ce soufflet envers ma
dignité que m’a infligé cette rupture. Se voir sous la donne
d’une main perdante est un fruit aux vertus amères.
Scène
en déroulement continu dans le fil de ma mémoire, je vois et revois
la scène comme une torture ou encore pour en comprendre l’issue.
Tenter d’en percer le mystère, discerner le vrai du faux, élucider
la faille qui a fait tout basculer dans l’univers des ombres, des
sombres, des songes...
Puis,
une sensation au froid mordant ma joue. Le dernier baiser, celui qui
a signé son départ. Le voile de son baiser sur ma folie, témoin
d’une lueur en flamme du passée, se givre de remord sur la mémoire
de mes mains closes. Douleur sur relation en perte d’avenue sur
cul-de-sac de la voie sans borne. Éternelle allée pavée de bonnes
intentions, mais aux résultats timorés chassant l’espoir d’une
lumière en piste d’atterrissage. Je monologue dans de longues
élucubrations en guise de réponses, soupir en gouffre.
Perçant
la nuit qui me coiffe, je pleure les larmes de sang de ma solitude
nouvelle. Pourtant, l’engagement était palpable sous la caresse
d’une embardée aux mains jointes, leurre dans l’appât mordu
dans ma candeur naïve. J’y croyais, j’y avais cru, jamais plus
n’y croira. Brisé dans ma fragilité, je m’affaisse dans l’antre
de l’esseulé aux murs dégarnis d’artifices.
Nuitée
en dormance dans les heures blanches qui recouvrent mon insomnie, je
sonde mon intra. Dérapage en fabulations, je trébuche dans le
hasard d’une négation formelle. Je ne peux me résoudre à voir la
vérité telle qu’elle s’affiche dans les néons clignotants de
l’évidence.
Endolori
par cette inactivité passive à compter les heures liquides en
compte-gouttes, je fuis le résultat navrant qui se reflète dans le
miroir. L’air frais fera du bien, l’air de rien, l’air
désabusé, l’air oxydé. Lumière solaire en quête de brûler le
peu qui me reste, je fonce tête baissée, tête résignée, tête
vide de trop plein, vers l’univers des yeux tout neufs.
Vitrine
alléchante en salive parsemant le pavé de sa devanture, je fore mon
for intérieur d’une solution à court terme. Bruissement d’elle
dans le dédain de son écho, je ne veux plus souffrir d’un soupir
de plus.
Tintement
de clochette, appel de phare pour le commis rémunéré commission,
il se pointe le bout du nez, orné d’un appareil optique
d’occasion. En mot d’accueil, il me toise l’abordage dans
l’évidence de ma venue en ce lieu. Yeux rougis par les pleurs
répétés, il comprend mon besoin.
—
Monsieur voudrait se sentir mieux
n’est-ce pas?
Que
pourrais-je répondre à ce pléonasme futile, qui ne voudrait pas
embaumer le bien-être? Opinant du bonnet, je lui confirme sa
pertinence d’observateur fallacieux.
—
Monsieur a une préférence pour le
moment? Les verres roses aident bien en ces circonstances qui
semblent vous affaiblir la volonté. Nos utilisateurs qui les portent
n’ont que des bons mots à leur égard. Beauté environnante
voisinant une vie sans tracas. Nous les garantissons contre les
égratignures des échecs scolaires, deuil d’un proche, ou encore
perte d’emploi. L’effet est instantané, dès qu’ils sont sur
votre nez, la vie se teinte de vives couleurs et les effets
secondaires du mal de vivre s’évanouissent comme par magie.
Comment
faire pour lui dire que je ne corresponds pas à cette description?
Teinte de désespoir de pouvoir avoir mieux, je décline son offre
d’un geste de la tête. Persévérance en guise de profit, ce
dernier ne jette pas l’éponge de la défaite et réplique d’une
offre nouvelle pour m’éblouir cette fois.
—
Monsieur préférerait peut-être le vert
pour se mouvoir sur la route de l’espoir. Elles sont en solde en ce
moment. Nous savons pertinemment que c’est la période des examens
et les étudiants viennent en masse pour s’en procurer une paire.
L’effet de celles-ci est en tout point similaire que les roses,
c’est à dire instantané! Vous marcherez dans l’espoir que tout
ne pourra aller pour le mieux.
Je
ne suis pas étudiant et l’espoir s’est effacé de mon
vocabulaire, alors je pense que je devrai m’en passer et fuir ce
lieu pour toujours. Voyant mon départ et son échec, la
contre-attaque ne tarde.
— Je
vois que Monsieur est sélectif et connaisseur. Je voulais simplement
savoir si vous étiez prêt pour l’offre suivante. Ce sont les
lunettes des stars vous savez, les verres dorés. Avez celles-ci, nul
souci c’est la totale. Tout brille dans le ciel tout comme dans
votre vie, la richesse et l’abondance se vautrent à vos pieds,
elle vous supplie de la cueillir tant vous êtes important pour elle.
C’est le net plus ultra, le tout serti d’une monture en filigrane
lingotiforme.
C’est
vraiment n’importe quoi, rien ici ne me convient. Le demi-tour de
mon délit de fuite appelle la porte par laquelle je suis entré.
Perte de pécule sous le couvert de la commission en sablier épuisé,
il ne se résigne pas et redouble d’ardeur pour me convaincre que
l’as est encore dans sa manche. Perte de temps convaincue, je
pousse la porte quand il la bloque avec un sourire de vainqueur.
Incompréhension dans la suite des événements, je le regarde sans
vie et lui me tend l’ultime paire de verres.
—
Monsieur ne peut pas partir sans avoir
essayé la collection spéciale, réservé pour des personnes comme
vous. Je vous ai bien cerné cher Monsieur. Le noir est tout à fait
pour vous. Il vous cache la vie comme elle est, c’est à dire, vous
devenez aveugle devant l’horizon, les émotions s’éteignent dès
leur naissance. Rien ni personne ne peut vous atteindre, car vous ne
les voyez plus. Vous êtes et serez seul dans votre monde. Parfait
pour le genre de personne que vous êtes. De plus, elles sont
assorties à vos cheveux, n’est-ce pas un point de plus pour cette
paire toute désignée pour vous.
Confus,
je les mets devant mes yeux et le monde s’éteint et la catatonie
s’empare de mon exil. Le plancher de la mort s’ouvre sous mes
pieds et le vendeur me passe au crédit. Finalement, il a vu juste et
aura sa vente aux enfers.
Mathieu La Manna Hamelin
8 décembre 2013
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