samedi 2 novembre 2019



TISIPHONE OU LA VENGEANCE CHAPITRE 3



Il s’est passé quelque chose. Un éclat de lumière a surgi. Si brièvement. Si fugacement que je me demande si, réellement, il a existé. Pourtant, mon âme s’est abreuvée un court instant à cette source de chaleur et a presque repris courage.
Il a existé… il faut qu’il ait existé.
Cet éclair lumineux a réveillé en moi de multiples souvenirs. Les chandeliers étincelants accrochés aux murs du château ne brillaient pas moins lors des soirées du Roi. Les danses aux pas rythmées sur le parquet de bois ne faisaient pas moins virevolter joyeusement les dentelles fines.  Les mets dorés et croustillants, les plats en sauces suaves, les vins savoureux ne réchauffaient pas mieux mon corps et mon esprit. Me sera-t-il permis d’imaginer que cette petite étincelle émergeant de je ne sais où pourrait être un nouvel espoir ? Je n’ose y croire.
Tant de fois, j’ai rêvé de revoir les branches s’agiter doucement au gré du vent. De sentir à nouveau le goût du lait crémeux au fond de ma gorge. D’entendre la musique enchanteresse du chant des oiseaux. Tant de fois, j’ai espéré depuis ce funeste instant où tout a basculé. Cet instant où le sourire juvénile a cessé de cacher les dents de loup. Où une petite main tendre s’est refermée sur mon épaule en serres déchirantes. Où un rire enfantin s’est transformé en ricanement sauvage.
Cela me revient. Cette étincelle fait surgir en moi des images fragiles. Elles affleurent, bouillonnantes d’une vie brisée, chaudes d’un bonheur enseveli sous une chape de glace. Elles s’immiscent telles des serpents visqueux. Elles tentent de s’emparer de moi pour y semer à nouveau le désespoir d’avoir tout perdu… jusqu’à l’essence même de mon être le plus intime. Comment les combattre dans ce néant obscur qu’est ma nouvelle et éternelle demeure ? Comment ne serait-ce que les repousser sans arme aucune et sans autre ressource que ma volonté pure ?
Ce sont des lames tranchantes faites de souvenirs à jamais disparus qui me traversent de part en part. Elles transpercent mon esprit d’un regard amoureux qu’aucun baiser ne viendra plus confirmer, d’une maison sereine sur la colline surplombant le fleuve joyeux devenu pour toujours asséché. Ces réminiscences aiguisées s’emparent de mon cœur et l’enserrent de la chaleur d’un corps abandonné que plus jamais je ne pourrai toucher. D’un matin clair et doux, à jamais disparu, où nous étions couchés tous deux sous l’édredon de plumes. Elles brûlent tout sur leur passage comme les braises rougeoyantes d’un bonheur mort qui refuse de s’éteindre. Tel ce déjeuner sur l’herbe verte au soleil avec les enfants jouant au palet, maintenant muets d’un silence de tombe. Elles incendient tout ce que je fus, tout ce que j’ai vécu, projetant leurs flammes destructrices dans mon sombre univers.

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