Lumière tamisée par les toiles
défraîchies, suspendues au bord d’une fenêtre donnant sur le
mois de juillet naissant. Poussières aux mille éclats, volants,
tourbillonnant d’un ballet sous une caresse de la brise chatoyante
dans l’ouverture perdue entre deux fermetures.
Dans le silence de son appartement,
M. Frigon tournait en boucle les ficelles de ses réflexions.
Seul le tintement étouffé d’un coucou meublait l’ambiance de
son sanctuaire. Errant d’once en once dans les dédales du pour et
du contre, il cherchait à se convaincre d’une décision. Son cœur
penchait vers la passion à rallumer tandis que sa tête s’entête
comme de raison. Océan de souvenirs sous un jet de lumière pointant
la photo de celle perdue depuis trop longtemps, perlant dans la
tristesse sur sa joue sillonnée par l’amertume, il regrettait.
Il
voudrait tant offrir à sa vie une réconciliation sous le ciel amour
négligé. Les années passées n’ont cure de lui alléger sa
souffrance.
Il
portait en lui le regret desséché du laisser-aller sous le thème
de la lâcheté,
ou
d’un remis à plus tard.
Le temps du coucou lui rappelait les
instants perdus à ne pas agir, préférant se vautrer dans
l’incapacité de s’assumer. Exception en ce mardi matin, sous le
pli d’une mauvaise nouvelle en lecture, le temps écourté lui
étant alloué se voyait maintenant rogner d’un délai en dormance.
Regard ternissant, les fissures du temps
sur son visage avachi par l’usure lui reflétaient l’urgence
d’une réaction. Que faire dans le doute quand celui-ci s’impose
d’une solution, sinon que faire sans plus attendre?
Telle une voiture rouillée de n’avoir
bougé depuis des années, M. Frigon se mettait péniblement en
marche vers les préparatifs de son départ. Destination en course
dans l’espoir d’une retrouvaille espérée. Y serait-elle encore?
Appréhension angoissante d’une démarche peut-être vaine bercée
par les dialogues internes d’un « mais
si… »
D’un pas à pas décidé, il
s’entreprit d’une démarche clamant haut et fort à qui voulait
bien l’entendre, qu’il retournait aux côtés de sa belle.
Soupirs désespérés en guise de réponse, éveil de découragement
devant l’absurdité de ces retrouvailles trop tardives. Sourd aux
remontrances en outrances, M. Frigon s’affaira au meilleur de
ses capacités amoindries, réservant le temps nécessaire d’un
délai entre deux cavales. Tissant une toile d’une beauté à
venir, entre deux valses en mémoire, soif de vivre dans cette
nouvelle rivière, rien ne tarirait cette conviction grandissante
d’un bon choix parmi d'autres
douteux.
Certitudes en fondation, terrain d’assise en levier de bonnes
volontés.
Derniers réglages dans les vestiges
d’une étape à tourner, la vie se consumant dans la fumée des
rêves déçus, alors le temps restant obligeait l’urgence d’agir.
Frivolité renouée dans les images au fusain dessinées de cette
destination signée. Adieu en office à tous ceux qui se rient de sa
décision, qu’en a-t-il à faire, mise à part les tourner en
dérision. Départ ainsi facilité par ces risées que son entourage
déplumé lui offre en au revoir.
Billet en poche, allée simple dans
l’espoir d’un non-retour, M. Frigon partit l’âme au pied
de marche vers un idéal fantasmé. Bien calé dans le siège de son
départ, il divaguait en quête de scénarios à la fin heureuse.
Endormi dans les airs, porté par les ailes d’une destinée en
cours d’écriture, il s’égarait dans les fougères plumeuses
dans le sous-bois de sa conscience.
Atterrissage onirique, bulle divagante,
M. Frigon aux teintes de son reflet virtuel fleurissait dans un
idéal ponctué de bonnes nouvelles. Décor en fée des bois sous le
déluge mielleux de ces retrouvailles de soie, naviguait sur la toile
de sa destination.
Dès l’éveil du rêveur,
il sentit que le sol sur
lequel foulaient
les pneus crissant dans la force de leur impact s’ouvrait vers une
finalité de sa course. Douane
en fouille de perte de temps, le peu de bagages à récupérer le
soulagea des files d'attente. D'un air climatisé à l'air frais, il
se mit en route vers celle qui occupait l'entièreté de ses pensées.
Vie
en fin de parcours, souffle haletant d’une maladie galopante, M.
Frigon peinait à prendre son pied devant l’autre. Seul l’appel
de cette rencontre programmée lui donnait le courage de poursuivre
malgré la douleur qui le gagnait. Dans le fort de sa croyance, il
souhaite de tout cœur que le sien ne le lâcherait pas avant l’avoir
rejoint.
Sur le vestige d’une note sur un papier
froissé, il cherchait à rejoindre l’adresse qui y figurait. Les
quelques billets en poche ne lui permettaient pas de folie dans
l’exagération de ses excès. Résigné dans sa démarche, il
franchissait l’écart entre lui et sa tendre moitié délaissée.
Palpant l’envie d’y arriver au plus
vite, il hâta le pas et ces derniers ne le trahirent pas en le
menant tout droit vers la grille de fer forgé ornant la demeure de
celle qu’il aimait depuis toujours. L’air était bon et la cour
entretenue sous la minutie de ses occupants. Malaise au corps éreinté
d’un effort que trop soutenu, il tentait de remettre de l’ordre
dans l’idée de ses mémoires. Quels seront les mots qu’il lui
soufflerait une fois à ses côtés, il n’en savait plus rien.
Peut-être que seule la proximité parlerait pour lui.
Dédale en dalle de pierre sous la stèle
qui l’abritait, M. Frigon la reconnut parmi les autres.
Fresque d’une vie en perte de vie, il prit place à ses pieds et
sans mot dire, la rejoignit les mains en croix.
Souriante enfin, sur le seuil de son
trépas, elle l’attendait depuis des lunes croissantes et
décroissantes, se succédant sans l’ombre de son âme. Mais cette
fois, il était là. Enfin réunis sous un même monde en
déconstruction, l’amour qu’il avait perdu depuis trop longtemps
déjà renouait dans la dimension qui les hébergeait tous deux
maintenant. Puis sur# le sol de ses décombres, on y inscrit un
simple ci-gît.
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