C’était un
mardi, le 22 sur le décan du mois de mai, je marchais en espoir de cause. Mince
foulée sur mes pieds à nourrir de moult chemins à transgresser, je déambulais davantage
que suivre.
Le
printemps, précoce dans sa chaleur à offrir, teintait de sa beauté la nature en
office de verdir son univers. L’acte de cheminer et de tendre vers un but à
atteindre dans la foulée qui me composait alors, j’avançais lentement. Le temps
n’y était pour rien, car je ne voulais en rien le calculer ni le voir. Le
chemin sur lequel je flânais n’existait pas, car je le traçais de mes pas. Lente
en progression, je me confortais à l’idée que j’étais en action…
Une tache
violette sur le sol m’apprivoisait de ce récif de fleurs sauvages. Je n’ai
jamais compris comment on pouvait qualifier une fleur de sauvage… J’en cueillis
une pour l’admirer de plus près. Délicate et si fragile, je l’aimais. Beauté
éphémère de cette floraison qui passe en cycle complet.
Épuisé
dans l’avancée de ma chevauchée sans monture, je pausais mon temps en guise d’un souffle à reprendre. Poumons
embrasés d’avoir que trop peiné à cheminer à tâtons dans le noir de la destinée
encore voilée à mon demain.
Le ciel,
à demi-feutré, accueillait sans s’en inquiéter un vague d’oiseaux migrateurs.
Un grand V en forme de solidarité
plane au-dessus de ma tête. Étrange la sensation que ces volatiles peuvent me survoler
l’existence. La voie des airs est libre de trajectoires. Seul le vent y partage
son espace, tandis qu’ici… tout semble nous barrer la route. Jalousie en
comparaison, la déraison peuplait et peuple mon questionnement sans fondement.
Après tout, comment pouvais-je nous comparer, moi qui n’ai jamais volé? Dégoûté
de mon état de fait, je fermais les yeux le temps qu’ils passent leur chemin…
tout comme je voudrais maintenant passer le mien.
L’air était
si bon quand on est seul à le respirer, cadeau égoïste que celui du souffleur
esseulé. L’air ne nous appartient pas et ne nous appartiendra jamais…
D’ailleurs qu’est-ce que ce désir de s’approprier ce qui ne peut l’être? La
terre est sans frontière autre que celle que l’on dessine pour se cloisonner
entre nos sécurités illusoires.
Un arbre
posé sur le flan de mon repos s’offrait en prie-Dieu, tout généreux qu’il est. Teint
majestueux en verte chevelure, tableau en bordure de ma route. Je me permis de
l’adosser, le temps d’appui, le temps de m’y poser, ne serait-ce qu’un instant.
Sa peau en écaille picotait ma tête et perçait mon corps en un massage sans douceur.
Ce contact végétal vacillait dans la complexité de son effet sur ma personne
éteinte de ce temps alloué…
À la
lisière de mon chemin, je regardais derrière moi. Un écureuil passait en sautillant
de jolis bonds vagués. Détail en image le temps d’un rien, éphémère est le
moment, éphémère est l’événement.
Regardant
ma provenance, mes traces, peu à peu, s’effaçaient. La nature ayant déjà repris
ces droits sur les miens. Je n’étais donc qu’un passant et rien de plus.
Pourtant, au loin, à bien y regarder je voyais bien d’autres chemins qui, eux,
survivent…
Un nuage
passa et se dressa au travers de la lumière. Ombre en masque sur cette lande
parsemée de mes méandres déboires. L’air se para aussitôt d’une fraîcheur
temporaire. Quelques frissons coiffaient ma peau en hérissant ma pilosité en
garde à vous. Je suis un être réactif, sensible aux éléments.
Soudain,
un bruissement de terrain tambourina mes alentours ainsi que le calme dans
lequel j’évoluais passivement. Tanière envahie par son manque de clôture ou
frontière. Je suis à l’air libre ce que le manque de mur nous expose au grand
jour, bref, je n’étais que de passage dans le décor.
L’origine
de ce brouhaha se fila à l’indienne dans la cadence parfaitement rythmée de ces
marcheurs. Par centaines ou par milliers, il cheminait, têtes baissées, le
regard vide éteint. La destination de leur pas ne les importait peu tant qu’ils
étaient ensemble, ils ressentaient le lourd poids de cette sécurité de masse. Était-ce
donc l’un de ces chemins qui m’était visible au loin?
Mes yeux
osèrent croiser celui d’un passant qui, d’un air distrait, lève la tête. Vide
dans le désir qui n’est plus, il me regarda d’indifférence dans le travers de
sa route. Reflet de ce qui se passe quand l’effet de masse bouffe notre être.
Une masse grouillante sans âme ni vie.
Je ressentis
de la peine et de la compassion pour ce cortège aux allures funèbre. L’envie me
pris de les secouer, de les faire trébucher pour qu’ils sortent de leur état de
veille. Ne serait-ce que pour y voir un sourire, un rire ou mieux… une réaction?
La marche
passa sans mon intervention. L’herbe sous leur pas foulé ne poussera plus
jamais… Pourquoi sont-ils ainsi, pourquoi marchent-ils ainsi?
Intrigue
dans la réponse sonnant fausse dans le glas de cette route, est-ce que les
routes les plus importantes et prometteuses sont celles qui sont empruntées par
le plus grand nombre de passants?
Ne
sachant quoi me répondre, je décidai de fuir à nouveau et de tracer ma route en
chemin opposé, là où je sais bien que je serai le seul responsable de ma
destination, de ma voie, qu’importe ce qu’elle est, tant qu’elle sera mienne.
Un soleil
passa et une nuit tout autant. Déjà, et déjà, mon passage fut effacé… ne resta
que son souvenir en toile de fond.
Agréable promenade en détails physiques et psychologiques. Questionnements très humains sur les raisons de notre attitude de moutons bêlant avec la silencieuse cohorte. Bien dit, bien pensé, bien écrit.
RépondreSupprimerOn dirait une réponse à mon dernier texte sur ces petites voix nécessaires à l'éveil de la multitude.
J'ai beaucoup aimé ce cheminement à tes côtés.
Je ne dirais pas que c'est une réponse à ton dernier texte, mais davantage une belle coïncidence! Merci pour ces bons mots Dame de la Sagesse!
SupprimerRe My God ! Décidément, ce matin... Que du bonheur mes amis de lire vos petites merveilles... Vous vous êtes donner le mot non ?
RépondreSupprimerQuel délice de cheminer avec toi sur cette Terre de paix et de silence. Une beauté pour le regard, une beauté pour notre écoute. Jusque cette fin qui nous invite à nous imaginer plusieurs chemins, selon notre état du moment. Pour ma part, j'ai vu ces randonneurs sur le chemin de la Mort...
Mathieu, je ne cesserais de dire que tu as "Le don"...
Pour ce qui est du don... nulle prétention à ce titre! Sinon, que je te remercie pour ce commentaire généreux! Je l'apprécie énormément!
SupprimerJe ne pourrais pas mieux m'exprimer que Aubree et Cat sur ce texte qui nous amène de belles réflexions. Je me suis reconnu dans la foule, mais aujourd'hui j'ose mon propre chemin et malgré les incertitudes et la peur qui s'invitent, je respire tellement mieux!!!
RépondreSupprimerAlors vive la liberté de suivre nos propres routes si cela nous allège le quotidien! Merci Gente Dame!
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