Qui
n’a pas, un jour, rêver ces mots ? Moi, je n’y avais jamais franchement
pensé avant qu’un homme ne me les dise. Je ne les avais même pas recherchés. Bien
au contraire… N’espérant rien de l’amour, comment aurais-je pu souhaiter
pareilles inepties ?
Oui
parce qu’après moi il y a eu quand même Brigitte, Pascale, Hélène, Raymonde – une
femme aussi vieille que son prénom, la mise-en-pli trop parfaite, la
robe-tablier fleurie, les bas trop lâches et le sourire pincé des vieilles
rombières à la sortie des églises – Eva et Emma, les sœurs jumelles qui ne se
séparaient jamais, même dans un lit, et puis Sophie, une jeune blonde aux seins
siliconés et au sourire botox qui pourrait presque être sa fille.
Vous
vous demandez sans doute comment je peux être aussi bien informé de ses
dernières conquêtes. Ne vous méprenez pas, je ne l’espionne pas, je ne le
harcèle même pas. Non. Monsieur à tout simplement décider de rester mon
confident après notre rupture. Enfin, pour être plus claire, c’est lui qui m’a
laissé tomber. Parce que moi, j’étais plutôt bien avec lui. Nous étions, dans
un lit, en parfaite harmonie. Il avait ce don de m’emmener bien au-delà d’un
septième ciel légendaire, et moi, loin d’être farouche, j’aimais le lier à mes
orgasmes pour l’emporter encore plus
loin dans son coït. Nous étions les amants d’un jour, d’une nuit. Selon nos
envies, nos besoins. Nous vivions chacun de notre côté, libre comme le vent.
Mais attention ! Pas trop loin non plus. Nous devions pouvoir nous
retrouver très vite lorsque « Madame Libido » frappait subitement aux
portes de notre intime. Aucune contrainte, aucune pression, juste du sexe. Nous
n’en demandions pas plus, nous n’en voulions surtout pas plus ! … Jusqu’au
jour où s’était éveiller sa fichue conscience !
« Tu
seras la dernière femme que j’aimerais… »
Ces
mots avaient pris un tout autre sens une fois qu’il avait souhaité mettre un
terme définitif à notre relation. Parce que là, il n’exprimait pas son désir de
partir en retraite dans un monastère bouddhiste suspendu, par on ne sait quel
miracle, sur le flanc d’une montagne tibétaine. Il ne désirait pas non plus
faire quelconque vœux de chasteté en rejoignant un ordre religieux qui
l’obligerait à chasser de son esprit tout plaisir passé. Et bien loin de lui,
l’idée de ne plus jamais s’offrir les vices délicieux que la société savait nous
donner avec autant de générosité. Bien que cette idée me fasse encore sourire
aujourd’hui, je n’imaginais pas non plus qu’il puisse se retrouver un jour
castrer à surveiller le harem d’un de ces tyrans insatiables dans l’immense désert
où les chameaux n’étaient pas uniquement les mammifères bossus.
En
fait, lorsque ces mots avaient franchi ses lèvres, alors que je ne lui
demandais rien de plus que quelques caresses doucereuses sur mon sein offert,
j’aurais dû comprendre : « Tu seras la dernière femme que j’aimerais…
Mais pas la dernière dans mon lit ».
Ressentez-vous
cette frustration dans mes écrits ? Frustration oui, frustration et déception.
Je croyais avoir rencontré la perle rare qui pensait le plaisir d’être
ensembles plus important que l’amour lui-même. Les disputes et autres
mesquineries de couples n’avaient jamais franchit le seuil de notre intimité. Lorsque
nous étions ensembles, c’est que nous l’avions, l’un et l’autre décidés. Nous
ne pouvions donc n’être que sourire et bonne humeur. Mais ma perle s’était
laissée emporter par les marées salées des réflexions et s’était finalement
reposer dans l’huître de sa conscience.
Et
moi d’admettre que nous nous étions laissés emporter sans le vouloir dans le
tourbillon mortel des habitudes. Un rituel quotidien qui devait,
définitivement, avoir raison de nos échanges érotiques. Parce qu’il fallait
oser se le dire. Chaque retrouvaille sentait le même parfum des torrides
passions. Je sonnais à sa porte, il m’ouvrait, me proposait un café que je
refusais systématiquement et nous nous retrouvions déjà à moitié nus, dans les
bras l’un de l’autre, contre un mur, par terre, sur la table de la cuisine ou
sur le canapé, à déchaîner nos corps comme des bêtes furieuses et sauvages. Il me
pénétrait toujours avec fougue et sensualité. Et j’aimais ça. J’en redemandais
toujours encore et encore. Nous ne faisions alors plus qu’un, les corps plongés
dans les mêmes sueurs, les regards absents de toute réalité, les spasmes
délicieux qui frissonnaient jusque dans nos entrailles, le cri bestial de
l’explosion de nos jouissances. Lorsqu’éjaculer
de ce désir intense, il tombait sa tête au creux de mon épaule, nous restions
jusqu’à l’apaisement de notre rythme cardiaque. Au souffle retrouvé, nous nous découvrions
sous le jet agréable d’une eau tiède où commençaient alors d’autres jeux
beaucoup plus sensuels. A partir de là, dans la chambre, nous faisions tout
simplement l’amour. Plusieurs fois de suite. Et toujours avec une imagination
débordante et différente. Nos préliminaires succulaient
nos bouches et nous aimions tester notre agilité dans des positions toujours
plus farfelues les unes que les autres. J’aimais nos fous-rires dans ces
moments-là. Une complicité que certains couples ne croisent que dans les films
à l’eau de rose, ceux qui puent l’amour factice et irréel. Entre deux désirs,
nous aimions discuter comme de vraies personnes de nos journées plus ou moins
intéressantes, d’un passé difficile ou de quelques projets à venir. Une petite
vingtaine d’années nous séparaient. Il avait donc toujours une histoire à me
raconter. Un vécu, une douleur, un bonheur. Et j’aimais me laisser prendre à
rêver au son de sa voix. Il existait dans ces instants, une espèce de tendresse
qui valait tous les coups de foudre de la planète.
« Tu
seras la dernière femme que j’aimerais… Mais je crois qu’on devrait en rester
là avant de nous haïr ! ». Nous haïr ? Mais quelle drôle
d’idée ? Pour haïr il faut aimer, et pour aimer, ne faut-il pas d’abord
s’aimer soi-même ? Tout ce blabla n’était pas pour moi. Je n’aurais même
pas dû écouter ses explications et m’en aller sans même me retourner. Je
n’avais certainement pas besoin de me torturer l’esprit pour des idées qui ne
m’appartenaient pas.
Vous
me penser sans doute insensible et dénuée de sentiments. Mais je sais aimer.
J’ai aimé tous ces hommes qui sont passés dans ma vie. A chaque fois différemment.
Et à chaque fois pourtant avec la même passion. Mais je ne crois pas tout
simplement que l’amour puisse être éternel. Tout comme la haine d’ailleurs.
Bien sûr, lorsque l’on tombe amoureux – d’ailleurs, quelle drôle d’expression
que d’utiliser le verbe « tomber » pour parler d’amour, ou peut-être
pas après tout, tomber peut faire beaucoup de mal, l’amour aussi – je disais
donc que lorsque l’on tombe amoureux, on se rapproche inévitablement du gouffre
de la stupidité. On ferait n’importe quoi pour l’autre, et l’on dit pas mal de
connerie aussi. Les « je t’aime à en mourir » finissent souvent par
des « je vais te tuer » (sauf sans aucun doute dans la chanson de
Cabrel, mais ça, c’est une autre histoire – de Gérard Blanc celle-là !).
Les « Tu es la femme de ma vie » par « tu m’as beaucoup amusé
cette première décennie ». Bref, je pourrais vous en écrire des dizaines
comme celles-là ! Mais à bien y réfléchir, il est vrai qu’il serait
déconcertant d’entendre Monsieur le Curé prononcé un : « Jurez-vous
de vous aimer jusqu’à ce que le divorce vous sépare ? ». Quel
cynisme ! Mais oui, je crois fermement que derrière ce sourire du
« je m’en fous » se cache les rides d’un cynisme profond, que même la
meilleure et la plus chère des crèmes n’arriveraient pas à estomper. Pourquoi
vouloir changer ce que nous ne pouvons pas ? Derrière chaque chirurgie
esthétique se trouvera toujours la laideur de notre âme. Nous n’y pouvons rien.
Notre caractère est bien planquer dans nos gênes. Et même si nous arrivons à le
leurrer un temps, il réapparait toujours pour nous imposer sa volonté d’être.
« L’ huître »
molasse et visqueuse de sa soudaine prise de conscience lui crachait dans les
veines un désir d’échanger quelques futilités devant un vieux film des années
60. Lui manquait disait-il, de devoir s’excuser pour être entré dans la
salle-de-bain pendant que Madame se démaquillait le soir. D'éteindre sa lampe
de chevet sans avoir à lui faire l’amour. De dîner en tête à tête devant un bon
repas qu’elle aurait amoureusement préparé dans la journée. D'entendre chanter
dans son salon, une voix féminine autre que celles chargées de grésillements
dans son vieux transistor. De se promener, main dans la main, jusqu'au parc en
bas de chez lui, pour sortir son chien et jeter quelques miettes de pain aux
moineaux. De se faire la gueule quelques heures pour des broutilles et très
vite se réconcilier dans un claquement de baisers sur les joues. De se regarder sans vraiment se regarder. Vétilles
dont je le croyais immuniser depuis un pénible divorce qui lui avait laissé un
arrière-goût de souffrances morales. Mais c’est à ce moment-là que j’ai
compris. J’ai compris enfin qu’il espérait tout simplement trouver dans ce
quotidien mortel, une parade à sa solitude. Il se sentait vieux et notre
différence d’âge lui laissait supposer que j’aurais un jour l’envie d’aller
voir plus exubérant, plus frénétique, plus mordant que lui. Je ne pouvais que
le féliciter d’avoir autant de courage pour oser prendre cette
« sale » décision, parce qu’après tout, qui pouvait vraiment savoir
de quoi serait fait demain ?
Je
n’ai rien pu lui dire ce jour-là, il avait sans doute raison et je n’avais pas
le droit de le priver d’une vie qui lui semblerait « meilleure ». Se
posait alors l’inévitable question de savoir où j’allais pouvoir dénicher une
autre perle aussi précieuse que lui ! Une perle qui se serait émancipée de
son huître. Parce que je dois bien vous l’avouer, mais depuis ce commensurable
coup de poing dans la gueule – je ne
connais malheureusement pas d’autres métaphores pour exprimer cette sensation
d’avoir été mis K.O par un homme qui me plaquait par amour – j’étais devenu
ostraconophobe, un mot imprononçable pour une phobie des huîtres aussi stupide
que curieuse.
Je
n’étais malheureusement pas au bout de mes surprises. Pourtant, j’étais bien
loin d’avoir l’esprit Kinder. Mais le fait d’accepter de rester son écoute des
bons, et surtout des mauvais jours, me donnait l’impression d’avoir le cerveau
chocolaté qui fondait lentement dans mon crâne en forme de cloche. Je n’avais
plus, désormais, qu’à subir ce bourdonnement incessant qui résonnait dans ma
tête. Comme le tintement effrayant de ce dernier SMS qui retentirait à jamais
dans mon cœur. Je l’imaginais, un petit sourire sur le coin de ses lèvres
pendant qu’il tapait sur le clavier de
son téléphone ces quelques mots du bout de ses doigts sages, ceux-là même qui
me caressaient les courbes voluptueuses avec passion et gourmandise. Il était
enfin heureux. Apaisé. Il venait de rencontrer une femme formidable. Une femme
qui, selon lui, me ressemblait dans bien des domaines. Je n’osais pas lui
souhaiter bonne chance et bon courage, si, réellement il avait croisé l’un de
mes clones. Non, pour une fois, je préférais ronger seule, l’os de mon cynisme.
« Tu
seras la dernière femme que j’aimerais… ». Moi, finalement, je ne voulais
être que la dernière femme dans son lit, la dernière femme de sa vie.
ouf!! ton texte m'a prise au cœur du début à la fin. je connais les déchirures et les questionnement de l'amour. Merci de cette générosité dans ton partage.. Avec respect!!!
RépondreSupprimerMerci beaucoup Carole pour ton commentaire qui me touche énormément. Merci d'avoir pris le temps de me lire. Tendresses.
RépondreSupprimerDiantre!!! Tout un texte !!!L'intensité, l'émotion qui se mélange aux passions et au vécu témoignent d'une sensibilité qui t'est propre! Belle écriture sentie qui fait mal dans la douleur qui anime cette dame esseulée.
RépondreSupprimerMerci Mathieu !!! Oui, tout un texte... Une envie soudaine d'écrire sur ce sujet. J'avais écrit une petite pensée, il y a pas loin de deux ans sur ce même sujet, mais tellement plus cynique. Je voulais y planter un peu d'humour, de légèreté tout en gardant, quand même le cynisme et la souffrance. Merci encore de m'avoir lu, merci d'être là !
RépondreSupprimerWaouf ! Cat, quel beau texte. Plein de sensiblité, de cynisme mais aussi d'une telle humanité. Tant de métaphores parfois humoristiques parfois grinçantes pour un sujet délicat mais très bien mené. J'ai vraiment beaucoup aimé ce texte empli de sincérité. J'ai du mal à écrire ces temps ci et je me nourris pour l'instant des mots des autres. Un magnifique voyage où tu m'as emmenée là. Merci et bravo.
RépondreSupprimerQuel plaisir Aubree de te lire sur mes mots... Je pensais justement à toi hier... Et je me disais que l'on ne se "voyait" plus trop ces derniers temps. Merci pour ton généreux commentaire... Je n'avance que grâce à vous ! Tendresses.
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