vendredi 23 janvier 2015

« Tu seras la dernière femme que j’aimerais… »

Qui n’a pas, un jour, rêver ces mots ? Moi, je n’y avais jamais franchement pensé avant qu’un homme ne me les dise. Je ne les avais même pas recherchés. Bien au contraire… N’espérant rien de l’amour, comment aurais-je pu souhaiter pareilles inepties ?
Oui parce qu’après moi il y a eu quand même Brigitte, Pascale, Hélène, Raymonde – une femme aussi vieille que son prénom, la mise-en-pli trop parfaite, la robe-tablier fleurie, les bas trop lâches et le sourire pincé des vieilles rombières à la sortie des églises – Eva et Emma, les sœurs jumelles qui ne se séparaient jamais, même dans un lit, et puis Sophie, une jeune blonde aux seins siliconés et au sourire botox qui pourrait presque être sa fille.
Vous vous demandez sans doute comment je peux être aussi bien informé de ses dernières conquêtes. Ne vous méprenez pas, je ne l’espionne pas, je ne le harcèle même pas. Non. Monsieur à tout simplement décider de rester mon confident après notre rupture. Enfin, pour être plus claire, c’est lui qui m’a laissé tomber. Parce que moi, j’étais plutôt bien avec lui. Nous étions, dans un lit, en parfaite harmonie. Il avait ce don de m’emmener bien au-delà d’un septième ciel légendaire, et moi, loin d’être farouche, j’aimais le lier à mes orgasmes  pour l’emporter encore plus loin dans son coït. Nous étions les amants d’un jour, d’une nuit. Selon nos envies, nos besoins. Nous vivions chacun de notre côté, libre comme le vent. Mais attention ! Pas trop loin non plus. Nous devions pouvoir nous retrouver très vite lorsque « Madame Libido » frappait subitement aux portes de notre intime. Aucune contrainte, aucune pression, juste du sexe. Nous n’en demandions pas plus, nous n’en voulions surtout pas plus ! … Jusqu’au jour où s’était éveiller sa fichue conscience !

« Tu seras la dernière femme que j’aimerais… »
Ces mots avaient pris un tout autre sens une fois qu’il avait souhaité mettre un terme définitif à notre relation. Parce que là, il n’exprimait pas son désir de partir en retraite dans un monastère bouddhiste suspendu, par on ne sait quel miracle, sur le flanc d’une montagne tibétaine. Il ne désirait pas non plus faire quelconque vœux de chasteté en rejoignant un ordre religieux qui l’obligerait à chasser de son esprit tout plaisir passé. Et bien loin de lui, l’idée de ne plus jamais s’offrir les vices délicieux que la société savait nous donner avec autant de générosité. Bien que cette idée me fasse encore sourire aujourd’hui, je n’imaginais pas non plus qu’il puisse se retrouver un jour castrer à surveiller le harem d’un de ces tyrans insatiables dans l’immense désert où les chameaux n’étaient pas uniquement les mammifères bossus.

En fait, lorsque ces mots avaient franchi ses lèvres, alors que je ne lui demandais rien de plus que quelques caresses doucereuses sur mon sein offert, j’aurais dû comprendre : « Tu seras la dernière femme que j’aimerais… Mais pas la dernière dans mon lit ».
Ressentez-vous cette frustration dans mes écrits ? Frustration oui, frustration et déception. Je croyais avoir rencontré la perle rare qui pensait le plaisir d’être ensembles plus important que l’amour lui-même. Les disputes et autres mesquineries de couples n’avaient jamais franchit le seuil de notre intimité. Lorsque nous étions ensembles, c’est que nous l’avions, l’un et l’autre décidés. Nous ne pouvions donc n’être que sourire et bonne humeur. Mais ma perle s’était laissée emporter par les marées salées des réflexions et s’était finalement reposer dans l’huître de sa conscience.

Et moi d’admettre que nous nous étions laissés emporter sans le vouloir dans le tourbillon mortel des habitudes. Un rituel quotidien qui devait, définitivement, avoir raison de nos échanges érotiques. Parce qu’il fallait oser se le dire. Chaque retrouvaille sentait le même parfum des torrides passions. Je sonnais à sa porte, il m’ouvrait, me proposait un café que je refusais systématiquement et nous nous retrouvions déjà à moitié nus, dans les bras l’un de l’autre, contre un mur, par terre, sur la table de la cuisine ou sur le canapé, à déchaîner nos corps comme des bêtes furieuses et sauvages. Il me pénétrait toujours avec fougue et sensualité. Et j’aimais ça. J’en redemandais toujours encore et encore. Nous ne faisions alors plus qu’un, les corps plongés dans les mêmes sueurs, les regards absents de toute réalité, les spasmes délicieux qui frissonnaient jusque dans nos entrailles, le cri bestial de l’explosion de nos jouissances. Lorsqu’éjaculer de ce désir intense, il tombait sa tête au creux de mon épaule, nous restions jusqu’à l’apaisement de notre rythme cardiaque. Au souffle retrouvé, nous nous découvrions sous le jet agréable d’une eau tiède où commençaient alors d’autres jeux beaucoup plus sensuels. A partir de là, dans la chambre, nous faisions tout simplement l’amour. Plusieurs fois de suite. Et toujours avec une imagination débordante et différente. Nos préliminaires succulaient nos bouches et nous aimions tester notre agilité dans des positions toujours plus farfelues les unes que les autres. J’aimais nos fous-rires dans ces moments-là. Une complicité que certains couples ne croisent que dans les films à l’eau de rose, ceux qui puent l’amour factice et irréel. Entre deux désirs, nous aimions discuter comme de vraies personnes de nos journées plus ou moins intéressantes, d’un passé difficile ou de quelques projets à venir. Une petite vingtaine d’années nous séparaient. Il avait donc toujours une histoire à me raconter. Un vécu, une douleur, un bonheur. Et j’aimais me laisser prendre à rêver au son de sa voix. Il existait dans ces instants, une espèce de tendresse qui valait tous les coups de foudre de la planète.  

« Tu seras la dernière femme que j’aimerais… Mais je crois qu’on devrait en rester là avant de nous haïr ! ». Nous haïr ? Mais quelle drôle d’idée ? Pour haïr il faut aimer, et pour aimer, ne faut-il pas d’abord s’aimer soi-même ? Tout ce blabla n’était pas pour moi. Je n’aurais même pas dû écouter ses explications et m’en aller sans même me retourner. Je n’avais certainement pas besoin de me torturer l’esprit pour des idées qui ne m’appartenaient pas.

Vous me penser sans doute insensible et dénuée de sentiments. Mais je sais aimer. J’ai aimé tous ces hommes qui sont passés dans ma vie. A chaque fois différemment. Et à chaque fois pourtant avec la même passion. Mais je ne crois pas tout simplement que l’amour puisse être éternel. Tout comme la haine d’ailleurs. Bien sûr, lorsque l’on tombe amoureux – d’ailleurs, quelle drôle d’expression que d’utiliser le verbe « tomber » pour parler d’amour, ou peut-être pas après tout, tomber peut faire beaucoup de mal, l’amour aussi – je disais donc que lorsque l’on tombe amoureux, on se rapproche inévitablement du gouffre de la stupidité. On ferait n’importe quoi pour l’autre, et l’on dit pas mal de connerie aussi. Les « je t’aime à en mourir » finissent souvent par des « je vais te tuer » (sauf sans aucun doute dans la chanson de Cabrel, mais ça, c’est une autre histoire – de Gérard Blanc celle-là !). Les « Tu es la femme de ma vie » par « tu m’as beaucoup amusé cette première décennie ». Bref, je pourrais vous en écrire des dizaines comme celles-là ! Mais à bien y réfléchir, il est vrai qu’il serait déconcertant d’entendre Monsieur le Curé prononcé un : « Jurez-vous de vous aimer jusqu’à ce que le divorce vous sépare ? ». Quel cynisme ! Mais oui, je crois fermement que derrière ce sourire du « je m’en fous » se cache les rides d’un cynisme profond, que même la meilleure et la plus chère des crèmes n’arriveraient pas à estomper. Pourquoi vouloir changer ce que nous ne pouvons pas ? Derrière chaque chirurgie esthétique se trouvera toujours la laideur de notre âme. Nous n’y pouvons rien. Notre caractère est bien planquer dans nos gênes. Et même si nous arrivons à le leurrer un temps, il réapparait toujours pour nous imposer sa volonté d’être.

« L’ huître » molasse et visqueuse de sa soudaine prise de conscience lui crachait dans les veines un désir d’échanger quelques futilités devant un vieux film des années 60. Lui manquait disait-il, de devoir s’excuser pour être entré dans la salle-de-bain pendant que Madame se démaquillait le soir. D'éteindre sa lampe de chevet sans avoir à lui faire l’amour. De dîner en tête à tête devant un bon repas qu’elle aurait amoureusement préparé dans la journée. D'entendre chanter dans son salon, une voix féminine autre que celles chargées de grésillements dans son vieux transistor. De se promener, main dans la main, jusqu'au parc en bas de chez lui, pour sortir son chien et jeter quelques miettes de pain aux moineaux. De se faire la gueule quelques heures pour des broutilles et très vite se réconcilier dans un claquement de baisers sur les joues.  De se regarder sans vraiment se regarder. Vétilles dont je le croyais immuniser depuis un pénible divorce qui lui avait laissé un arrière-goût de souffrances morales. Mais c’est à ce moment-là que j’ai compris. J’ai compris enfin qu’il espérait tout simplement trouver dans ce quotidien mortel, une parade à sa solitude. Il se sentait vieux et notre différence d’âge lui laissait supposer que j’aurais un jour l’envie d’aller voir plus exubérant, plus frénétique, plus mordant que lui. Je ne pouvais que le féliciter d’avoir autant de courage pour oser prendre cette « sale » décision, parce qu’après tout, qui pouvait vraiment savoir de quoi serait fait demain ?

Je n’ai rien pu lui dire ce jour-là, il avait sans doute raison et je n’avais pas le droit de le priver d’une vie qui lui semblerait « meilleure ». Se posait alors l’inévitable question de savoir où j’allais pouvoir dénicher une autre perle aussi précieuse que lui ! Une perle qui se serait émancipée de son huître. Parce que je dois bien vous l’avouer, mais depuis ce commensurable coup de poing dans la gueule – je ne connais malheureusement pas d’autres métaphores pour exprimer cette sensation d’avoir été mis K.O par un homme qui me plaquait par amour – j’étais devenu ostraconophobe, un mot imprononçable pour une phobie des huîtres aussi stupide que curieuse.

Je n’étais malheureusement pas au bout de mes surprises. Pourtant, j’étais bien loin d’avoir l’esprit Kinder. Mais le fait d’accepter de rester son écoute des bons, et surtout des mauvais jours, me donnait l’impression d’avoir le cerveau chocolaté qui fondait lentement dans mon crâne en forme de cloche. Je n’avais plus, désormais, qu’à subir ce bourdonnement incessant qui résonnait dans ma tête. Comme le tintement effrayant de ce dernier SMS qui retentirait à jamais dans mon cœur. Je l’imaginais, un petit sourire sur le coin de ses lèvres pendant qu’il  tapait sur le clavier de son téléphone ces quelques mots du bout de ses doigts sages, ceux-là même qui me caressaient les courbes voluptueuses avec passion et gourmandise. Il était enfin heureux. Apaisé. Il venait de rencontrer une femme formidable. Une femme qui, selon lui, me ressemblait dans bien des domaines. Je n’osais pas lui souhaiter bonne chance et bon courage, si, réellement il avait croisé l’un de mes clones. Non, pour une fois, je préférais ronger seule, l’os de mon cynisme.


« Tu seras la dernière femme que j’aimerais… ». Moi, finalement, je ne voulais être que la dernière femme dans son lit, la dernière femme de sa vie.

6 commentaires:

  1. ouf!! ton texte m'a prise au cœur du début à la fin. je connais les déchirures et les questionnement de l'amour. Merci de cette générosité dans ton partage.. Avec respect!!!

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  2. Merci beaucoup Carole pour ton commentaire qui me touche énormément. Merci d'avoir pris le temps de me lire. Tendresses.

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  3. Diantre!!! Tout un texte !!!L'intensité, l'émotion qui se mélange aux passions et au vécu témoignent d'une sensibilité qui t'est propre! Belle écriture sentie qui fait mal dans la douleur qui anime cette dame esseulée.

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  4. Merci Mathieu !!! Oui, tout un texte... Une envie soudaine d'écrire sur ce sujet. J'avais écrit une petite pensée, il y a pas loin de deux ans sur ce même sujet, mais tellement plus cynique. Je voulais y planter un peu d'humour, de légèreté tout en gardant, quand même le cynisme et la souffrance. Merci encore de m'avoir lu, merci d'être là !

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  5. Waouf ! Cat, quel beau texte. Plein de sensiblité, de cynisme mais aussi d'une telle humanité. Tant de métaphores parfois humoristiques parfois grinçantes pour un sujet délicat mais très bien mené. J'ai vraiment beaucoup aimé ce texte empli de sincérité. J'ai du mal à écrire ces temps ci et je me nourris pour l'instant des mots des autres. Un magnifique voyage où tu m'as emmenée là. Merci et bravo.

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  6. Quel plaisir Aubree de te lire sur mes mots... Je pensais justement à toi hier... Et je me disais que l'on ne se "voyait" plus trop ces derniers temps. Merci pour ton généreux commentaire... Je n'avance que grâce à vous ! Tendresses.

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