dimanche 18 janvier 2015

Samedi matin...

Samedi d’un hiver, parmi l’ensemble de ce qu’il est. Le souffle du jour peine à combattre le noir de la nuit. En cette période de l’année, le soleil manque souvent à l’appel des présents, muet et discret sous son voile nuageux. Est-ce mieux ainsi, qui sait? La lumière diffuse qu’il génère me trouble. C’est samedi et le temps m’ennuie.

À peine l’heure du lever survenu que je ne peux faire autrement et de vivre en arrêt d’être fonctionnel. Pause à demi véritable dans les fonctions qu’occupe la fin de semaine. Repos ou mise à jour du laisser-aller de la semaine. Reprendre le dessus sur soi-même, chez soi… Réflexions en sursis de prendre le relais dans ce temps alloué pour la purge de mes tensions quotidiennes. Je transe en transition de ce que je devrais faire et la nécessité d’être.

Il est neuf heures moins le quart et un homme marche dans la rue. Ce marcheur passe devant ma fenêtre. Il était visible de loin avec son parka rouge au capuchon, serti de fausse fourrure, rabattu sur sa tête. Ses bottes noires et délassées fendent les quelques lames de neige qui lui coupent la route. Indifférent, il les traverse sans s’en préoccuper, elles sont là et c’est tout. Les mains dans les poches, il chemine tête basse. Ainsi vêtu dans sa simplicité, il affiche l’air de ces jours gris. Gris en contraste avec le blanc de l’hiver qui dune sur un plateau enneigé. Se sentant épié, il relève la tête et regarde en ma direction. Ses yeux noirs se posent dans les mieux. Communion silencieuse entre deux entités qui se croisent. Son regard est éteint et seule la volonté de se mouvoir le pousse à poursuivre sa cadence d’une prise de plein air. Gêné d’être pris ainsi en flagrant délit d’observation, je m’en détourne. Satisfait du résultat envers cette intrusion dans son instant à lui seul, il agit tel le témoin silencieux du temps qui passe, mais qui pourtant ne s’épuise pas pour autant. Il est ce qu’il fait et rien de plus. Condensé d’une existence de temps à faire sous l’apparence de l’utilité.

Le plaindre je devrais? Nous plaindre je devrais? L’action engendre l’action…

La question « Du comment il devrait/pourrait en être autrement » fleurit sur l’écueil de mes lèvres gercées. À quoi d’autre l’Être humain peut-il servir sinon que d’occuper le temps et l’espace? Être. Il est dans ce qu’il accomplit dans son quotidien. L’être humain est donc action et ne peut vivre sans définition aucune. Cet homme qui marche vers sa nécessité est donc en parfaite concordance avec son rôle. Présentement, il est le marcheur de son envie. Il chemine dans la voie qu’il s’est donné de suivre, pourrait-il en être, être autrement? Qui sait, sinon que la question elle-même… Las de l’épier à distance, je le laisse partir à ses destinations.

Le moment à suivre de ma journée se dresse dans une liste à cocher. Obligations multiples dans leur multiplication continue. Meubler le temps, agencer les cases et agir.

Agir… Ne sommes-nous donc qu’action à accomplir?

Je cherche du regard un bout de papier, y dresser la liste des à combler de mes occupations. Un regard furtif vers l’extérieur le temps de voir un oiseau qui se pose sur la branche nue de mon lilas. Le vent lui soulève quelques plumes. Un geai bleu. Ses yeux arpentent l’étendue des possibilités. La soudaine bourrasque le déstabilise. Il joue d’équilibre pour ne pas perdre prise sur son arrimage végétal. Il pousse un léger cri de mécontentement puis se redresse. Pause, pause entre deux vols, il médite sa prochaine action. Je suis étonné par notre ressemblance. Nous ne sommes que ce que nous devons accomplir. L’obligation d’être pousse la vie à se renouveler et à poursuivre sa destinée. Son choix posé sur ses intentions, il prend son envol et suit sa ligne de conduite en voie de concrétiser son acte choisi.

Pour ma part, je cherche encore ce fragment de papier pour y noter mes envies d’agir. Tout comme l’oiseau, je balaie du regard en quête d’une proie à noter. L’angoisse de l’inutilité me perce et augmente l’intensité de mes recherches. Vide à combler dans ce temps d’inertie, je trépigne.

Je dois agir et agir vite pour me sentir vivant. Cette inertie trouble mes certitudes et me pousse à l’action. C’est samedi et je ne peux faire autrement que de peindre les heures de tâches à accomplir. Prison de verre dans ce concept qui ruine mes croyances de l’efficacité. Que suis-je si je ne suis rien? Que suis-je si je ne fais rien?

La pression augmente et mes gestes se ponctuent de maladresse dans l’urgence d’agir. Qu’importe ce que je ferai, je dois bouger. Inconsciemment, je ne puis faire autrement, l’automatisme de la nécessité dicte mes pas, tout comme le marcheur de mon réveil.

Dans l’élan à accomplir, j’use de gaucherie et fais tomber ma tasse fétiche. Celle qui sied aux côtés de ma cafetière qui patiente encore d’être mise en marche. Comment ai-je pu ne pas la voir et réduire son existence en mode rebut? Elle ne pourra plus servir, elle a perdu son utilité, bref elle n’est plus… Tout comme moi maintenant. Le visage meurtri par la faute commise.

Vide, je me sens soudainement vide… La peur tresse dans ma tête une toile de détresse pour que s’y niche le doute de mon existence, de ma raison d’être. Moi qui ne puis me rendre utile… Tout comme cette tasse qui pleure sa perte sur le plancher de ma cellule hypothéquée, je me fissure. Je ne suis plus rien, sinon que la dissolution mon accessibilité à la liberté d’agir. Néant de ma perte, je ne suis plus que distorsion qui vibre dans le vide de mes échos…

Tout est donc ainsi, utile ou vain.


Je hais ces samedis matin où le temps me prive de mon sentiment de pouvoir être… sinon qu’être inutile…

2 commentaires:

  1. My God ! Mais quelle mélancolie !!! J'aime le noir de ce texte. Ces questions que nous ne sommes pas seuls à nous poser. Ce regard sur l'anodin, sur ce que personne ne voit vraiment. J'aime l'ensemble de tes mots Mathieu, mais je trouve que tu excelles dans ces pensées. La tristesse, le doute, la rage, la colère... tant de sentiments qui se vomissent de nos âmes et qui noircissent nos pages d'une encre qui se veut belle. J'aime cette mélancolie, elle est mienne. Je la comprend.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Dame de la Strophe! Comme je te le disais, il serait faux de prétendre que nous ne sommes que des actes... ce serait bien trop réducteur de ce que nous sommes réellement! La chaleur humaine est très importante!

      Supprimer