Posture en nuages de ciel pourpre, le silence se donne des airs d’un nouveau genre. La salle est prête, elle respire de ses poumons arqués les poutrelles de bois aux fausses dorures. Les sièges en velours défraîchis tamisent la lumière sous les projecteurs poussiéreux. Le rideau aux volets tirés ficelle la scène de son masque rayé. Discrète à la scène d’avant-première.
En coup d’œil furtif, le marionnettiste observe d’un air satisfait ce décor encore muet. Ces instants où le silence dort dans le creux de son îlot marécageux. Marasme en ambivalence. Bientôt il le sait, cette vision immobile reprendra vie en étincelles d’yeux attentifs ou blasés. Les murmures en appel d’être divertis prendront d’assaut les places qui leur sont dûes. Avec eux, les excusez pardon, c’est mon siège ou encore les pardonnez-moi madame, vous pourriez retirer votre chapeau, mon enfant n’y voit rien. L’espèce humaine est tellement prévisible.
L’esseulé du rideau soupire d’un souffle de résignation face au constat de l’éternel enfance qu’est l’âge adulte. Seule la prétention de maturité fait office de leurs droits acquis. Leurre par-dessus leurre, le masque finit toujours par tomber… quitte à se rompre sur le sol de sa désolation.
L’heure des cadenas rompus, le loquet saute, celui le protégeant des intrus payeurs avides de sensations vides. Vides, parce que trop de "déjà"… Vides, parce que dans leurs vécus ils brandissent et se parent de leurs couronnes de loisirs consommés jusqu’à repus. Dégoût empirique dans le cœur de celui qui les connait trop, que trop…
Petit à petit, l’espace se meuble et comble le vide qui régnait en ces lieux, il y a de ça à peine quelques instants. Brèche dans le sablier du bonheur, le temps de se donner en spectacle voire en pâture se pointera sous peu avec au-dessus de lui, épée Damoclès en devenir.
Comme prévu, comme toujours, les mêmes répliques sonnent à ses oreilles comme une chanson trop souvent jouée. Pourquoi, pourquoi donc se flagelle-t-il de cette torture qui se renouvelle soir après soir? Pitance en délire du besoin de manger tombe du ciel dans l’obligation de se prostituer pour quelques dollars… Y vendre son âme et y perdre sa vie.
Décompte en liberté de se consumer, il piétine sur place… Le plan, il doit tenir à son plan et ne pas flancher, surtout ne pas flancher. Centré sur ses obligations éphémères, il ferme les yeux, lentement il exécute mentalement sa séquence comme une routine avec sa dextérité fine.
Puis, sous la pluie des projecteurs qui diminue en intensité, la pression agit inversement à l’éclaire et pompe le sang dans ses veines en staccato impulsif. Silence à nouveau s’impose en latence de loisir avec quelques toussotements étouffés.
Il sait que c’est le moment, celui qui marquera son passage à niveau…
—Mesdames et messieurs, applaudissez bien fort les marionnettes de M. Cléopaste!!!
La voix rauque de l’annonceur maison annonce la représentation. Erreur de prononciation, comme d’habitude… Son nom est massacré par nonchalance et mépris. Cléophase non, Cléopaste. Ciel que ça en est pathétique…
D’un mouvement lent et disgracieux, le rideau s’ouvre avec un léger grincement qui provoque la grimace des spectateurs. Quelques mains s’agitent en de faibles applaudissements…
Monologue intérieur en celui qui attend ce moment depuis longtemps, trop longtemps. Un mince filet de lumière pointe le centre de la scène où dorment les acteurs ficelés. Ils attendent, tous patientent…
Puis, dans les hauts parleurs désuets, la musique s’ébroue et grésille avant de jouer les premières notes de la mise en scène parfaite de cet homme donneur de vie à l’inerte.
Jouant d’emphase sur un tonnerre d’applaudissement, les petites figurines prennent vie et s’articulent pour le plaisir des spectateurs.
Les fils dans la tension qui les maintiennent en vie s’agitent au vent. Souffle divin dans celui qui en tient la main se gorge de plaisir de les voir ainsi à sa merci. Manutention dans la main qui manipule et donne au spectacle son air de dépit et de désolation. Tendresse en apnée d’impuissance, il tambourine de ces êtres articulés une scène
… à suivre ...
Oh my god ! J'ai zappée ce fabuleux texte. Que te dire ? Juste divin comme d'habitude. Je veux la suite, je veux la suite...
RépondreSupprimerMais dis-moi ? Ces marionnettes ? C'est un peu nous non ? Manipulés et attachés au fil trop fragile de notre monde...
Merci Gente Dame! Une autre de mes bulles! Le problème c'est que je ne sais pas comment la terminer!!!
Supprimerun texte qui commence en fortes sensations dans lequel on peut tous se reconnaître au travers de ces gestes et ces habitudes si souvent répétées. Tant qu'ils y perdent leurs sens et leur intérêt d'origine. Puis vient le marionnettiste.... je vais voir la suite.
RépondreSupprimerMerci gente Dame! Il est vrai que les répétitions de nos routines font perdre leur sens à ces gestes qui meublent nos quotidiens! Merci encore!!!
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